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situées plus profondément, les modifieront eux-mêmes plus radicalement. Ce qui revient à dire que si quelques vérités, très générales, demeureront éternellement les mêmes, — et ce sont celles qui n’expriment pas tant les lois de la nature des choses que la constitution de l’esprit humain, — la science, bien loin d’être exceptée de la loi du changement, ne peut donc progresser qu’en changeant, comme aussi bien toutes les choses humaines ; et c’est ce que l’on entend quand on dit que du « point de vue statique, » le positivisme a fait passer le concept de science au « point de vue dynamique. » Elle n’est plus aujourd’hui ce qu’elle était hier : elle n’est pas aujourd’hui ce qu’elle sera demain.


III

Quelques adversaires du positivisme ne s’y sont pas mépris, dont Renan, — le Renan jeune, et sincère encore, de l’Avenir de la science ; — et ils ont bien compris que ce qui s’évanouissait, dans ce passage de l’un à l’autre point de vue, c’était le mirage d’une religion de la science, vers le milieu du XIXe siècle, ne pouvant faire que la religion fût assez scientifique à leur gré, quelques philosophes avaient essayé de transformer la science en une religion. On a cru plus d’une fois qu’ils s’inspiraient d’Auguste Comte, et, en effet, nous l’avons dit, le positivisme de Comte devait aboutir à une religion. Mais, au contraire, si la religion de Comte en est une, c’est précisément pour ne rien avoir de scientifique, et en fait comme en droit, sa conception de la science a ruiné dans son fondement même l’idée d’une « religion de la science. »

M’objectera-t-on peut-être ici que cette expression de « religion de la science » n’est qu’une manière de parler, une métaphore, — comme « la religion de la souffrance humaine, » — et que personne, pas même Renan, n’a commis cette erreur de la prendre au pied de la lettre ? C’est l’objection qui aura tort, et quelques textes suffiront à le prouver. « On n’envisage d’ordinaire la science, — lisons-nous dans l’Avenir de la science, — que par ses résultats pratiques et ses effets civilisateurs. On découvre sans peine que la société moderne lui est redevable de ses principales améliorations. Cela est très vrai, mais c’est poser la thèse d’une façon dangereuse. La science a sa valeur en elle-même, et