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causalité, spontanéité, liberté, etc. Aussi loin que s’étende la portée de notre vue, nous ne sortons pas du champ du « relatif ; » nous non sortons pas davantage, aussi profondément que nous nous efforcions de pousser nos recherches. Et ce n’est pas à dire que la recherche soit inutile, — on le verra bien tout à l’heure, — mais cela signifie que la science n’est investie, par nature ou par définition, d’aucun privilège qui lui soit propre, ni surtout qui lui confère un droit supérieur au gouvernement des esprits.

Un autre et non moindre avantage de cette manière de concevoir la science est de nous la représenter comme animée d’un mouvement qui modifie d’âge en âge, — et on pourrait dire de génération en génération, — le système de rapports qu’elle est. Avant Auguste Comte et le positivisme, l’idée qu’on se formait de la science participait, pour ainsi dire, de l’immutabilité de ses lois. Il y a, dit-on, des cœurs de toute part ouverts : la science, avant Auguste Comte, était comme un système de tous côtés fermé. La faute en était imputable à nos Encyclopédistes, qui, de toutes les découvertes accumulées déjà de leur temps, ne s’étaient vraiment préoccupés que d’extraire un Credo, sur le modèle de l’autre, et pour l’y opposer. Les Voltaire ou les Diderot tenaient essentiellement à ce que leur « tableau de la nature, » avant même d’être exact, fût la contradiction réputée « scientifique » des enseignemens de la religion. Ils s’étaient donc efforcés, et leurs disciples depuis eux, de donner à la « Science » une consistance quasi dogmatique, et, pour cela, d’en soustraire les vérités à toute possibilité de changement ou même d’évolution. Il fallait que ce qui était acquis fût acquis, le fût à toujours ; et ils eussent dit volontiers, en parodiant un mot de Bossuet, que toute vérité, du moment et par cela seul qu’elle était sortie du cabinet ou du laboratoire du savant, « avait d’abord toute sa perfection. » Si cette conception de la science, — infiniment plus étroite et plus ennemie du progrès que celle qu’aucune Eglise s’est jamais formée de son dogme, — n’est pas encore tout à fait abolie, mais le sera bientôt sans doute, quand nous aurons cessé de subir l’influence des Renan et des Littré, personne assurément n’y aura plus contribué qu’Auguste Comte ; et ce n’est pas le moindre titre du positivisme, — il faut le dire et le redire, — que d’avoir opéré cette révolution.