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bientôt, dans l’universel désarroi des principes, la « Science, » tandis qu’il semblait que tout menaçât de s’écrouler autour d’elle, continuant seule de subsister ou plutôt d’avancer, d’étendre son domaine et d’en consolider la possession, d’ajouter, au champ de la mathématique et de la physique, celui de la chimie, de l’histoire naturelle, de la physiologie, son nom devenait synonyme de progrès, d’espérance, et de sécurité.

C’est ce qu’il est encore, de nos jours, pour beaucoup de gens qui se croient, eux aussi, « avancés, » et qui ne sont, au milieu de nous, en ces premières années du XXe siècle, que les contemporains de l’Encyclopédie. « Nous voguons sur un milieu vaste, toujours incertains et flottans, poussés d’un bout vers l’autre. Quelque terme où nous pensions nous attacher et nous affermir, il branle et nous quitte ; et, si nous le suivons, il échappe à nos prises, nous glisse et fuit d’une fuite éternelle,… » plus heureux que Pascal, dont on a reconnu les fortes paroles, ils ont, eux, trouvé « le terme où s’attacher, » le roc inébranlable dans l’océan de nos perplexités, et ce roc ou ce terme, c’est la « Science. » Ils savent que deux et deux font quatre, que la terre tourne autour du soleil, que les pierres vont au fond de l’eau, que le coke est le produit de la distillation de la houille, que la peste et le choléra sont d’origine microbienne, quoi encore ? et cela leur suffit. Je leur conseille donc la lecture et la méditation de la philosophie d’Auguste Comte. Car c’est vraiment pour eux qu’il a écrit, si c’est bien cette conception surannée de la « Science » que le positivisme, que l’on persiste à croire qui l’aurait établie, est au contraire venu ruiner. Et la manière dont il s’y est pris, ç’a été de substituer, dans l’idée qu’il nous faut nous former de la « Science, » 1° le point de vue dynamique au point de vue statique ; et 2° la notion précise du relatif à l’hypothèse indéterminée de l’absolu.

J’ai tâché de montrer, dans une précédente étude[1], en combien de sens différens peuvent s’interpréter ces mots de « relatif » et d’ « absolu ; » comment Comte n’avait eu garde de confondre le « relativisme » avec le « subjectivisme ; » et qu’enfin la doctrine de la « relativité de la connaissance, « bien comprise, n’est à vrai dire que l’expression même des conditions objectives de la connaissance. Nous ne connaissons rien que de relatif : cela

  1. Voyez dans la Revue du 15 juin, l’article intitulé : Pour le Centenaire d’Auguste Comte.