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II

L’un des « concepts, » ou, — pour parler plus humainement, — l’une des idées que le positivisme a le plus profondément modifiées, c’est celle que l’on se formait avant lui de la « Science. » On peut bien dire, à cette occasion, que, s’il n’y a guère aujourd’hui d’idole plus tyrannique, ni de superstition plus accréditée ou plus répandue que celle de la « Science, » il n’y en a pas non plus dont il soit plus difficile de définir la nature, et de justifier les titres à la domination qu’elle exerce. Qu’est-ce donc que la « Science ? » Il y aurait tout un livre à écrire sur l’évolution de ce mot et de son contenu. On y montrerait, qu’au temps de la Renaissance, — car on pourrait sans scrupule négliger tout le moyen âge et toute l’antiquité, — le mot de « Science » était synonyme de « savoir » ou d’ « érudition. » Les Philelphe et les Pogge, les Reuchlin, les Erasme, les Budé, les Scaliger étaient des « savans, » et jusqu’au milieu du XVIIe siècle, c’est le nom que l’on a continué de donner à des théologiens, comme le P. Petau, par exemple, ou à des historiens, — je dirais volontiers des chartistes, — comme du Gange. En comparaison d’eux, les Galilée, les Descartes, les Pascal, les Huyghens, et à plus forte raison un Swammerdam ou un Harvey, n’étaient que des « curieux. » Le titre même d’une comédie de Molière en témoigne : les Femmes savantes, et les préoccupations de sa Philaminte ou de son Armande, qui sont « curieuses, » il est vrai, de physique et d’astronomie, mais combien plus curieuses encore de petits vers, et des fatrasseries dont Gilles Ménage, Egidius Menagius, était le plus illustre représentant ! Une autre preuve nous en est donnée par un autre titre, celui du Journal des Savans, où, dès l’origine, pour quelques articles « scientifiques » les articles littéraires abondent. Il est vrai qu’en revanche, dans les Nouvelles de la République des lettres, de Bayle, les comptes rendus des ouvrages de mathématiques ou de physique, d’histoire naturelle ou de médecine, tiennent presque autant de place que la littérature et la philosophie.

Mais déjà, — la comédie de Molière le prouverait encore, — on commençait à se faire de la « Science » une idée plus précise à la fois et plus large, et le sens du mot se déterminait. La fondation de l’Académie des sciences, 1666, y aidait ; et le progrès