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millions, pour l’augmentation de la flotte et la création de « ports de refuge et de points d’appui » pour nos escadres aux colonies. Les travaux de Bizerte étaient, les premiers, prévus dans le projet et, dès le 24 juillet, la Chambre votait un crédit de 1 800 000 francs pour permettre d’y commencer, sans délai, les travaux. « L’affaire de Fachoda, » qui surprit notre grand port militaire africain à peine armé et presque dépourvu de garnison, en fit, plus que jamais, ressortir l’importance, et, en venant démontrer la possibilité d’une guerre maritime, fit commencer, en toute hâte, les travaux. — Bizerte, désormais, entre dans la phase d’activité.


III

Aux pessimistes, qui désespèrent de la France, nous aimerions à conseiller une promenade à Bizerte. Ici, chacun travaille ; toutes les énergies sont tendues vers un même but, dont la grandeur stimule les courages ; Bizerte passionne ceux qui préparent son avenir. Deux chefs éminens règlent et dirigent cette activité : le général de brigade Marinier est gouverneur de la place et chargé de la préparation des défenses de terre ; le contre-amiral Merleaux-Ponty, commandant en chef la division navale de Tunisie, remplit, sans en avoir encore le titre, toutes les fonctions d’un préfet maritime. Tous deux ont cette foi dans leur œuvre sans laquelle il n’est pas d’efforts féconds, et ils ont su la communiquer à leurs collaborateurs. Partout, des nuées d’ouvriers bâtissent, poussent des wagonnets, manœuvrent des dragues, creusent, maçonnent, remuent la terre. On travaille au canal, on travaille aux digues, on travaille dans la ville.

Le canal, sur 1 500 mètres de longueur, avait 100 mètres de largeur à la surface et 60 au plafond, avec une profondeur de 9 mètres. Mais l’expérience démontra qu’un grand bâtiment, engagé dans le couloir, pour peu qu’une fausse manœuvre ou la violence du courant, parfois très rapide dans le chenal, le fit dévier de sa route droite, pouvait se heurter à l’une des rives et obstruer le passage. En temps de guerre, pour un bateau poursuivi par l’ennemi ou maltraité par le combat, les risques d’échouage auraient été plus grands encore ; le moindre accident dans le canal pouvait enfermer toute une escadre ou, au