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Aussi bien M. Foureau, pour Timassânine, le capitaine Pein ; dans le passage cité plus haut, pour des points situés tout à fait au centre du Sahara, reconnaissent que des oasis peuvent être soit créées, soit considérablement agrandies. Il est probable qu’un jour, sur toute cette étendue de 2 500 kilomètres, on déblaiera et l’on entretiendra tous ces puits, on aménagera toutes ces eaux, on tirera parti de toutes ces rivières intermittentes ou souterraines, que des groupes de population se constitueront aux endroits les plus favorables, et il s’en rencontre tout aussi bien, sinon davantage, en plein Tassili que dans notre Sud-Constantinois.

L’obstacle principal, c’est, comme le dit le capitaine Pein, l’insécurité. Ces contrées sont livrées à une insécurité tout à fait déprimante. Ceux des habitans qui auraient le goût d’une vie paisible, exploitant les ressources du milieu où la destinée les a placés, ne peuvent augmenter ni le nombre de leurs arbres, ni celui de leurs troupeaux ; ils n’ont pas la pensée d’aménager un peu les eaux, des nomades brigands devant les spolier de leur aisance. Presque à chaque page de son journal, M. Foureau constate l’insécurité qui, plus que l’aridité de la nature, est la plaie de cette région[1].

Cette aridité naturelle, qui est rarement complète et définitive, frappe d’autant plus les voyageurs qu’ils appartiennent à une vieille contrée riche. L’homme civilisé a perdu aujourd’hui le sens de la nature primitive et brute ; il est habitué à une terre dont toutes les parcelles ont été, depuis trois mille ans, manipulées par l’homme ; il croit que cette terre est celle que la nature a faite ; il pense que les eaux coulaient naturellement là où elles coulent aujourd’hui dans un vieux pays agricole ; que les arbres y poussaient de même ; que les pâturages y étaient à peu près ce qu’ils sont, et c’est là une complète erreur.

Même dans un vieux pays, comme la France, il se rencontre des espaces plus ou moins étendus, dont l’aridité étonne et consterne ceux qui les voient pour la première fois : la vaste plaine de la Crau, par exemple, ou certains plateaux comme celui du Larzac ; on serait porté à croire que ces lieux rébarbatifs, couverts de pierre et manquant d’eau, ne se prêtent à aucune exploitation rémunératrice ; et, cependant, il y a là une vie

  1. Mission saharienne, voir notamment, p. 31, 47, 103, 132, 150, etc. ; on pourrait citer une centaine de pages du journal de M. Foureau, où il est question de ce terrible fléau, l’insécurité du Sahara et du Soudan central.