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sable mouvant et sans eau, qui, à tout le moins ne compte guère de population fixe et n’offre aucunes réserves alimentaires. Évidemment, si le Sahara était conforme à l’idée que s’en fait le vulgaire, cette traversée eût été absolument impossible. Avant d’être arrivés au quart du trajet, les 400 hommes et les 1200 à 1 300 chameaux seraient morts de faim et de soif. Les convois de ravitaillement, en effet, si utiles qu’ils fussent, surtout peut-être pour apporter et remporter des nouvelles et maintenir le moral, ne pouvaient amener que quelques vivres, une partie seulement des vivres destinés aux hommes ; puis, à partir même d’In-Azaoua, ils cessèrent tout à fait ; ils n’apportaient rien pour les bêtes, d’autant qu’ils avaient à se suffire à eux-mêmes.

Si la traversée du fameux désert a donc pu s’effectuer et quasi sans aucune perte d’hommes, c’est que le Sahara, comme on va le voir, est tout à fait différent de ce qu’on l’imagine. Supposez, dans une de ces provinces, comme il s’en trouve beaucoup dans tous les pays d’Europe, même les plus florissans, sur le plateau central de la France, par exemple, une troupe de 380 à 400 hommes, se présentant avec un convoi de 1 200 à 1 300 bœufs ; il est clair qu’il serait très malaisé à cette troupe marchant rapidement, conduite par des guides peu fidèles, entourée d’une population clairsemée et hostile, de trouver sa nourriture ; sur le plateau du Larzac notamment, où l’on vient d’établir un vaste camp, et il est en France bien d’autres contrées qui ne sont pas plus favorisées, une pareille troupe, si elle ne pouvait puiser qu’aux ressources naturelles directes et immédiates du pays, pâtirait sérieusement de la faim et de la soif, car il ne s’y trouve pas d’eau courante et les mares y sont rares et pauvres.

Il n’y a donc nullement à s’étonner que dans le Sahara cette colonne, relativement énorme, se soit trouvée en proie à de grandes difficultés. Nous n’avons pas à les retracer ; ce n’est pas l’objet de cette étude ; elles ont été décrites éloquemment dans un rapport fait par M. Liard, au nom de l’Académie des Sciences morales et politiques, qui a décerné à M. Foureau le plus grand prix dont elle disposât ; mais si graves fussent-elles, elles ont été surmontées, sans pertes d’hommes, à quelques unités près, répétons-nous ; cela fait honneur, sans doute, au talent des chefs, à l’endurance et à la discipline de la troupe ; mais cela prouve, d’autre part, que cet immense pays, dont la réputation est si mauvaise, offre plus de ressources et présente moins d’obstacles qu’on ne lui en attribue.