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curieuses du recueil, sans montrer qu’ici encore nous trouvons une de ces surenchères d’esprit dont les déclamateurs ont l’habitude, chacun d’eux cherchant à dépasser celui qui a parlé avant lui et a éblouir le public par des couleurs de plus en plus surprenantes. Un de ceux qui attaquaient la jeune femme avait imaginé de dire qu’il n’était pas vrai qu’elle fût partie, comme on le prétend, à l’insu de son père, l’archipirata, et qu’elle lui obéissait, en ayant l’air de le trahir. Les bons partis ne sont pas communs dans une troupe de brigands ; le père aura trouvé l’occasion bonne pour la marier sans dot à un honnête homme. La couleur était assez heureuse ; un autre s’en empare et va plus loin : qui sait si le père n’avait pas le dessein d’en faire une espionne, qui renseignerait les pirates sur les bons coups qu’ils pouvaient tenter ? Aussitôt un troisième, d’une imagination plus vive, a l’idée de mettre l’hypothèse en action et de faire du roman un drame. Au milieu de sa plaidoirie, brusquement, il s’arrête. Il regarde derrière lui ; il feint d’entendre un bruit tumultueux, de voir des campagnes dévastées, des fermes qui brûlent, des gens qui s’enfuient, et se tournant vers le jeune homme épouvanté, il lui dit : « Pourquoi donc as-tu peur ? rassure-toi : c’est ton beau-père qui arrive. »

Le mariage, qui, dans la vie réelle, donne lieu à tant de procès, est naturellement aussi le sujet de beaucoup de déclamations. Dans l’une des plus intéressantes, le mari a peur d’avoir été trompé. Il a fait une longue absence pour son commerce, et pendant qu’il n’est pas là, un voisin riche, très épris de sa femme, a essayé par tous les moyens de la séduire. Il n’y a pas réussi, et plein d’admiration pour une vertu, qui apparemment lui semble rare, il lui laisse en mourant toute sa fortune, et justifie sa libéralité en disant que c’est « parce qu’il l’a trouvée honnête. » Ce témoignage solennel paraît suspect au mari, et il accuse sa femme d’infidélité, précisément parce qu’on a trop attesté qu’elle avait été fidèle. Il nous reste, de cette controverse ingénieuse un assez long développement de Porcius Latro, qui est une des pages les plus agréables de la littérature latine. A côté du mari jaloux, un peu trop prompt à soupçonner, les déclamateurs nous en montrent un autre qui n’est que trop sûr de son infortune. C’est un brave soldat, qui a perdu les deux mains à la guerre ; sa femme, qui sait qu’il ne pourra pas la punir, ne se gêne pas pour le tromper. Le mari, l’ayant surprise avec son