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artificielles dont ils paraient leurs discours étaient accueillies par des cris d’enthousiasme. Le lendemain, dans les sociétés mondaines et lettrées de Rome, il n’était pas question d’autre chose. Les opinions étaient souvent fort partagées ; il y avait des rivaux jaloux qui se moquaient sans pitié des expressions dont l’orateur s’était servi, et qu’on avait applaudies la veille. D’autres, plus audacieux encore, osaient reprendre le sujet qu’il avait traité, pour montrer qu’ils avaient plus de talent que lui. Les admirateurs, au contraire, ne tarissaient pas d’éloges. Ils répétaient les beaux endroits qu’ils avaient retenus et dont, à l’occasion, ils se servaient pour leur compte. Cependant, malgré le bruit que faisaient ces déclamations au moment où l’on venait de les entendre, il était à craindre qu’il n’en restât rien dans la suite. Elles devaient être souvent improvisées. D’autres fois les orateurs, selon le mot de Latro, les écrivaient dans leur tête, mais aucun d’eux ne songea jamais à les publier. C’est ainsi que tous ces rhéteurs, qui étaient après tout des gens de talent et qui eurent, à leur époque, tant de renommée, risquaient beaucoup de périr tout entiers, et en effet on nous dit, quelques années après leur mort, qu’on ne possédait rien d’eux qui fût authentique.

Si pourtant nous avons conservé des renseignemens sur eux et quelques débris de leurs discours, nous le devons à un hasard qu’il ne sera pas inutile de raconter.


III

Vers la fin du règne de Tibère, la famille des Annæi Senecæ tenait un rang important dans la société romaine. On sait qu’elle était espagnole de naissance et originaire de Cordoue. Le père était venu à Rome encore jeune, et probablement pour suivre les leçons des rhéteurs renommés ; il y retourna quand il eut des enfans et voulut s’occuper de leur éducation et de leur fortune ; vers la fin de sa vie, il parait s’y être fixé. C’était un homme intelligent, sensé, très ami des lettres et passionnément Romain, malgré son origine provinciale. Cependant il était bien de son pays ; le tempérament espagnol, que nous retrouvons chez son fils le philosophe, et encore plus chez l’auteur de la Pharsale, son petit-fils, se trahit chez lui par des brusqueries, des exagérations, des partis pris, des violences. Il est probable qu’il avait pour ses amis une très vive affection, mais il est certain