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gage d’un honnête homme et d’un soldat. Il ne faut pas laisser croire que la soumission du commandant Robiou ne soit pas un acte d’une portée morale supérieure à la désobéissance du colonel de Saint-Remy. Ce dernier s’est laissé guider par des mobiles élevés, nous le voulons bien : mais qu’adviendrait-il si chaque officier, et bientôt après chaque soldat, s’instituaient les juges des ordres qu’ils reçoivent ? Sans doute, cela n’arriverait jamais en temps de guerre ; mais l’armée a aussi des devoirs en temps de paix et ils ne sont pas moins impérieux. Lorsque le jugement du conseil de guerre de Nantes a été connu, les socialistes qui l’attendaient avec impatience, prêts à en tirer parti dans quelque sens qu’il fût prononcé, ont commencé aussitôt une double campagne, l’une contre les conseils de guerre qu’ils ont voués une fois de plus aux dieux infernaux, l’autre contre la discipline militaire qui venait, disaient-ils, de subir la plus grave atteinte. Ils s’en réjouissaient naturellement ; car, à leurs yeux, l’obéissance ne doit pas être passive dans l’armée plus qu’ailleurs, la dignité d’un citoyen s’opposant à ce qu’il fasse jamais le sacrifice complet de son libre-arbitre. Or, le conseil de guerre de Nantes semblait leur donner raison. Dans ce redoublement de fureur contre les conseils de guerre en général, et dans cette approbation ironique mais satisfaite du jugement particulier du conseil de guerre de Nantes, il y avait sans doute une contradiction. Qu’à cela ne tienne ! Les socialistes ne s’embarrassent pas pour si peu. Leur logique n’a rien d’étroit, et ils servent des argumens opposés à des auditeurs différens. Ceux-ci poursuivent la suppression des conseils de guerre : le jugement de Nantes leur est présenté comme un grand scandale. Ceux-là veulent détendre, au profit des officiers et des soldats, les liens d’une obéissance qu’ils ne sauraient admettre absolue : le jugement de Nantes leur est présenté comme un encouragement et une espérance. Si le colonel de Saint-Remy a pu, leur dit-on, au risque d’une peine dérisoire, refuser d’obéir à la réquisition d’un préfet, il faudra bien reconnaître le même droit à tout officier, ou même à tout soldat qui, un jour de grève ou d’émeute, refusera d’obéir à un ordre du même genre, et mettra l’épée au fourreau ou la crosse en l’air. La situation n’est-elle pas la même dans les deux cas ? Et si, dans la scrupuleuse délicatesse de sa conscience, le colonel de Saint-Remy a été jugé excusable parce qu’il n’a pas voulu contribuer à l’expulsion de quelques religieuses, un autre le sera-t-il moins le jour où il refusera de faire usage de ses armes contre de malheureux ouvriers que leurs privations personnelles et la misère de leurs familles auront réduits au déses-