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pouvaient avoir un certain agrément. Mais il les a lui-même réunies en volumes. Il en a composé un monument qu’il intitule pompeusement les Œuvres et les Hommes du XIXe siècle, Rien qu’en copiant à la file quelques-uns de ses jugemens sur les écrivains et les artistes de son temps, on aurait un choix des opinions les plus abracadabrantes et d’ailleurs les plus contradictoires. Mais ce ne serait même pas amusant. Il manque à la critique de Barbey ce léger grain de bon sens qui rend l’extravagance piquante. Ce n’est pour lui qu’une occasion d’exprimer ses sympathies, ses colères, ses emportemens, ses impressions, son humeur du moment ; et cette humeur est toujours au paroxysme. Traitant indifféremment de questions religieuses, politiques, morales, des littératures anciennes et moderne, étrangères et française, de philosophie, de théâtre et de peinture, il y apporte une égale incompétence, et ne s’en cache guère. Au besoin il se vante d’ignorer jusqu’au premier mot des sujets dont il disserte. Cela fait qu’il est plus libre pour en décider. Chargé d’un compte rendu de Salon, il intitule sa profession de foi : « Un ignorant au Salon. » « C’est moi, écrit-il fièrement, qui suis cet ignorant-là. Parmi les critiques d’art autorisés, comme on dit, et qui ont présentement de gros pignons sur rue, en voici un qui n’a pas même, pour s’y abattre et y percher, le soliveau de l’hirondelle. Il n’est pas, lui, professeur juré ou non juré d’esthétique. Il n’a pas de cravate empesée. Il n’endoctrinera pas pédantesquement. Il ne dira jamais que ce qui lui viendra. » Sa fantaisie est son unique règle pour juger de tout. Et il n’avait pas besoin de nous en avertir : on s’en aperçoit de reste. Donc il s’en donne à cœur joie, exaltant ceux-ci, éreintant ceux-là, frappant à tort et à travers et criant comme un sourd. Ce n’est peut-être pas la meilleure méthode en critique, mais on sait au surplus que c’est la plus communément employée.

Et voici ce qui devient digne de remarque et un peu attristant. En dépit de ces travers, de ces ridicules, de ces tics, de ces manies et de ces fanfaronnades, Barbey d’Aurevilly n’était pas dénué de qualités. Il avait d’abord toutes les qualités du cœur, ce qui est quelque chose, même pour un écrivain. Il passe pour avoir eu de l’esprit et excellé dans la conversation. Sur ce point, tous ceux qui l’ont entendu s’accordent. « Quel esprit ! s’écrie l’un d’eux. Depuis Rivarol et le prince de Ligne, personne n’a causé comme M. d’Aurevilly, car il n’a pas seulement le mot comme tant d’autres, il a le style dans le mot et la métaphore, et la poésie. » Un autre vante cet esprit cinglant et caustique qui le fait songer au fouaillement de la cravache et à la morsure