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La grande industrie est adaptée aux besoins mondiaux, mais les besoins locaux subsistent, et dès lors l’extension de l’industrie n’empêche pas la survivance de la petite industrie locale. Les usines géantes comme celles de Krupp ou de Cockerill, du Creusot ou de Pittsbourg envoient leurs produits dans toutes les parties du monde. Or, en même temps, dans tel village isolé des Ardennes, la famille travaille pour sa consommation personnelle et conserve le type de l’économie domestique primitive. En Norvège, le paysan construit sa maison, fabrique son chariot, son traîneau, ses outils, tanne son cuir ; en Galicie, en Bukovine, dans certaines parties de la Russie méridionale, de la Hongrie, de la Transylvanie, de la Roumanie, le même système de production pour l’usage survit parce qu’il répond à une utilité et est adapté aux besoins du milieu[1].

L’usine, la fabrique, la manufacture produisent ce qui ne pourrait être produit autrement ; elles triomphent quand les prodiges de l’outillage mécanique, la concentration des hommes, des engins, des capitaux, et tous les avantages, et tous les inconvéniens de cette concentration sont nécessaires, soit pour lutter sur le marché universel, soit pour obtenir le bon marché, la quantité, la rapidité (comme dans certaines industries textiles), soit pour répondre par un machinisme puissant et coûteux aux difficultés de l’exploitation (comme dans les mines).

La petite industrie à domicile, l’atelier domestique, le métier individuel, avec l’autonomie familiale, avec la dissémination des forces productrices, avec les avantages et les inconvéniens de cette dissémination, répondent, à leur tour, à des besoins particuliers : ils persistent quand les conditions d’adaptation restent favorables, notamment à la campagne, et alors ils se combinent parfois avec la petite culture ; ils se maintiennent pour les produits de luxe exigeant la délicatesse du travail à la main, ou quand la nature du produit usuel est telle qu’elle demande pour le moins autant de travail humain que de travail mécanique, ou qu’il s’agit de satisfaire à la clientèle locale ou de voisinage, ou que la façon de livrer le produit exige des relations directes et permanentes entre les producteurs et les consommateurs. Telle est la raison d’être des cordonniers, des tailleurs, des bouchers, des boulangers, des menuisiers, des maçons, des barbiers, des

  1. Bücher. Livre cité, p. 123 et suivantes.