Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 11.djvu/417

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

divergentes, et Thring finissait à la longue par s’apercevoir que son élève ne parlait plus la même langue que lui. A qui s’en prendre ? A l’excès d’inquiétude de Nettleship, à l’excès de sérénité de Thring, je ne saurais dire, mais il me semble que, pour trouver la lointaine origine de cette fatale séparation, il faut revenir à ces classes de théologie par trop sommaires où les vigoureuses affirmations tenaient lieu de preuves, et où l’on s’assurait à coups de lourde ironie, sur n’importe quels adversaires, une si facile et expéditive victoire.

Voici la lettre triste et affectueuse où Nettleship prend congé intellectuel de son maître et rend, du fond même de sa détresse, un suprême hommage à la formation qu’Uppingham lui a donnée.


Je ne puis pas me dissimuler en lisant votre sermon que sur bien des points, je me suis détaché de ce que vous croyez être la vérité,… et cependant, d’un autre côté, en vous lisant, ça me parait être une pauvre plaisanterie de parler de divergence d’opinion entre vous et moi, quand l’esprit profond d’où vos idées tirent leur sève, loin de provoquer en moi une résistance, n’y rencontre que sympathie et conviction. Tout cela, j’espère, s’éclaircira quelque jour. En attendant, il faut que je me contente de sentir que mon cœur fait encore écho aux simples cris de guerre du passé. Dieu se réalise en bien des manières. Il me semble que l’esprit que vous avez éveillé en moi s’est transformé au point que vous ne pouvez plus le reconnaître comme venant de vous ; mais, en dépit des apparences, je puis affirmer que ce qu’il y a de vivant dans cet esprit n’a changé ni ne changera jamais.


VI

A mesure que cette noble vie approche du terme, elle devient plus souriante. Ce n’est pas la faiblesse attendrie du grand âge, on sent que le lutteur est encore debout, mais c’est l’ascension constante d’une âme toujours vivante, qui brise d’elle-même les cadres où parfois certaines étroitesses d’esprit avaient essayé à l’emprisonner.

Non pas que la séduction soit enfin complète et souveraine, car cet homme admirablement bon ne nous impose cependant qu’une amitié de raison et, au moment où il nous attire le plus, il trouve toujours moyen, par une bizarrerie ou exagération nouvelle, de réveiller en nous cet esprit critique que nous aurions voulu laisser dormir. Mais c’est peut-être aller à l’étourdie que de supposer que tout le monde partage sur ce point mon