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communs qu’ils ne croient eux-mêmes. La vérité est bien trop large pour qu’un homme ou une école puissent l’embrasser tout entière. Mais jusqu’à ce que ceci soit reconnu par un plus grand nombre et tant que l’Église ne sera pas plus vraiment catholique, beaucoup malgré leur impatience d’entrer doivent se résigner à rester sur le seuil… Dans tous mes troubles et difficultés, la doctrine que j’ai apprise à Uppingham a été ma seule grande certitude, qui loin d’être ébranlée ne cesse de s’imposer davantage à moi.


La réponse de Thring est affectueuse et confiante. Il risque une discussion assez peu convaincante dans le but de restreindre la théorie de son élève sur la nécessité de « croire sans preuves, » et cependant, par cet instinct d’âme, chez lui plus clairvoyant que l’intelligence raisonnante, il ajoute quelques lignes où Nettleship aurait pu trouver un commencement de réponse à une de ses secrètes difficultés.


Dans le bouleversement et transformation du monde dont nous sommes témoins, il a plu à Dieu de confondre et d’ébranler d’une effrayante façon les formes anciennes, même celles qui étaient depuis des siècles les canaux nécessaires de ses dons. Il veut sans doute nous détacher de tout support charnel pour nous jeter de plus en plus désespérément à la vie intérieure. Car même un sacrement devient une forme charnelle quand il cesse d’être un principe de croissance et que de moyen il devient fin. La manne mal employée engendre des vers et devient nauséabonde… Croyez-moi, j’ai assez souffert de la vie pour être prêt à vous aider dans toutes vos difficultés, quoique vous puissiez penser de la distance qui est entre vos idées et les miennes. Voici des années que je médite sur ces questions vitales, et du moins j’ai fini par me convaincre de mon ignorance et de la nécessité d’aimer le Christ.


Nettleship, pour se prémunir contre les dangers d’une vie trop intellectuelle, songeait alors à la visite des pauvres et à d’autres bonnes œuvres.


Oui, lui écrivait Thring, c’est d’une absolue nécessité, si vous voulez faire un bon travail intellectuel d’en creuser profondément les fondations dans les grandes réalités de la vie, et, pour cela, de prendre contact avec la souffrance et la gloire des pauvres… Aussi longtemps qu’on se cantonne dans une vue purement intellectuelle de la vie, il semble qu’une étrange moquerie accompagne tous nos actes. C’est si à fleur de peau, si étroit, et, en même temps, si fuyant !… Mais qu’on franchisse ce petit cercle pour se plonger dans le grand océan de la vie et on sent immédiatement la vraie force de cette vie…


Je suis désolé de voir cette correspondance entre ces deux hommes, se ralentir peu à peu et se suspendre enfin presque tout à fait. Il y avait trop longtemps que leurs voies étaient