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Laisse-moi écrire quelques idées que je voudrais pour toujours enfoncer dans ta vie. Lis soigneusement un peu de l’Évangile tous les jours. Le grand sentiment de ma vie a été de voir et de toucher la vérité de la vie du Christ en nous.

Ne néglige jamais ton travail… tout travail est religieux. Tu montreras ta religion en faisant de bonne besogne désintéressée pour l’amour du Christ.


Mais il ne se contentait pas de cette religion essentielle. Son âme, douce et vite exaltée, voulait davantage et il avait pris, de bonne heure, l’habitude d’une intime communication avec Dieu.


Bénédiction des dimanches, lisons-nous dans son journal, j’enterre tous mes soucis et je me repose en adorant Dieu et en recevant la fréquente infusion de sa paix !


Vivre du Christ et avec le Christ, c’est sa pensée presque constante et ce journal de chaque soir n’est souvent qu’une conversation intime, affectueuse, abandonnée. On n’entend qu’un des deux interlocuteurs, mais, à la paix croissante, on devine que l’autre n’est pas loin, qu’il parle, qu’il instruit, qu’il console et qu’il relève.

On a dit excellement ce que l’idée religieuse donna de force, de largeur, de constance aux entreprises de Thring, et comment le réformateur aurait peut-être échoué dans son œuvre si, au noble sens du mot, il n’avait pas été un voyant.


Cette faculté de se préoccuper, non pas des détails, mais des principes ; cette largeur d’idées, ces vues d’ensemble et de haut, ce désintéressement dans le choix des lignes de conduite et cette invariable constance ; cette conviction que le succès était, en définitive, à la méthode qui aurait tout subordonné aux considérations morales, cette idée nette du temps requis pour l’action des lois générales… cette patience, ce calme, ce refus obstiné de tout juger par le résultat immédiat, cette indéfectible espérance dans le lent et sûr travail de la vie, il n’y a pas de doute possible, tout cela suppose chez un homme « l’évidence des choses qu’on ne voit pas[1]. »


Si l’on veut se convaincre que ce ne sont pas là des phrases vagues et vaines, il faut se décider à suivre Edouard Thring dans ce qu’il appelle, à sa manière biblique, « la vallée de l’ombre de la mort. » En simple français, il nous faut raconter l’histoire d’une épidémie de fièvre typhoïde, de la mort de plusieurs élèves, de la fermeture du collège et de l’exode prompte et courageuse vers un Uppingham improvisé. Je n’insisterais pas sur ce fait divers tragique si le journal qui en a gardé mémoire

  1. Skrine.