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vous n’êtes que des menteurs et des fourbes ! Ah ! je sais bien les pauvres raisons dont vous amusez votre conscience, quelques-uns du moins parmi vous. Vous dites dans vos cœurs mesquins que cela est bien simple, que cela se fait partout dans les autres écoles. Oui, certes, mais nous, nous ne sommes pas les autres écoles !


C’est ainsi que par l’influence de son exemple, par un don de s’imposer aux âmes, par la sagesse à la fois prévoyante et libérale de ses règlemens et par un constant appel à la franchise et aux meilleurs sentimens des élèves, Thring réussissait, au-delà de toute espérance raisonnable, à modifier profondément les caractères et à élever très haut le niveau moral d’Uppingham. Certes, les résistances ne manquaient pas, comme on peut s’en rendre compte à plusieurs pages découragées de son journal, mais l’élasticité de cette rude nature et son inébranlable constance finissaient par avoir raison de tout. Adroit d’ailleurs autant qu’énergique, il savait trouver de sûrs auxiliaires parmi ceux-là même qu’il avait à gouverner. La solidarité scolaire était un des dogmes auxquels il en appelait constamment et qui, entrant peu à peu dans les mœurs du collège, réunissait la masse des bons élèves en une armée du bien, compacte et décidée, avant tout soucieuse de l’estime et de l’affection, de son chef. « Je ne sais pas qui est coupable, disait-il ou à peu près, quand un désordre avait eu lieu, et je n’ai pas besoin de le savoir. Mais la faute n’aurait pas été commise si les autres, les prétendus innocens l’avaient assez détestée. A mes yeux, la société peut empêcher les crimes qu’elle déteste et, si la faute a été commise, c’est qu’elle ne vous inspirait pas assez d’horreur. » Il n’eût pas manqué d’exemples bibliques pour appuyer sa théorie du châtiment collectif, « et, ajoute malicieusement un de ses élèves, nous acceptions tous la pénitence, les uns comme une chose raisonnable, les autres, silencieusement, comme les coups aveugles de la destinée. »

Justice ou fatalité, ces exécutions simplistes avaient au moins l’avantage, — et il est grand, — de forcer les bons élèves à se compter, à prendre confiance en eux-mêmes et à se mesurer au groupe plus bruyant et moins nombreux des mauvais. Car le collège est comme la vie. Une poignée d’audacieux y règne par la terreur sur la foule honnête et timide qui ne connaît pas sa vraie puissance. Cette expérience n’est-elle pas d’une souveraine importance et ne vaut-elle pas les quelques heures de punition