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où la valeur d’une maison se juge au nombre de ses succès dans les concours de Cambridge ou d’Oxford. Thring ne s’aveuglait pas sur les conséquences de sa méthode, mais il voyait là un devoir strict et il essayait de se persuader qu’après des années moins brillantes, cette élévation progressive du niveau moral finirait par devenir, pour les études mêmes, une condition de succès.


III

Le programme de Thring revient donc à tout subordonner à la culture morale des élèves, à tout faire concourir au développement et à l’élévation du caractère, à pénétrer de toutes façons l’esprit et le cœur du sentiment de la responsabilité personnelle et de l’importance souveraine de chaque vie. Ainsi énoncées dans l’abstrait, ces idées restent assez vagues et, à moins d’en être soi-même possédé, on serait très empêché d’en faire sortir une méthode d’éducation. Mais ces idées, c’est Thring lui-même, c’est sa propre vie, son obstination à tout regarder du point de vue moral et à mépriser tout ce qui ne peut pas se ramener à cette règle unique de ses jugemens et de ses actes. Les enfans qui le voient chaque jour sentent que leur maître vit dans une atmosphère supérieure et que ses pensées ne sont pas celles du monde. De là peu à peu, par la fascination nécessaire du bien, ils devaient tendre à s’élever eux aussi à ces hauteurs. Réussissaient-ils dans leurs études, ils n’avaient aucune peine à rester modestes à côté d’un homme qui mettait à si bas prix les prouesses de l’esprit ; appartenaient-ils à l’humble moyenne à qui les voluptés intellectuelles sont défendues, quelqu’un était là pour leur répéter sans cesse que leur vie n’en avait pas moins de valeur et qu’une belle carrière leur restait ouverte, la seule vraiment digne de leurs efforts.

Je crois bien que, dans cette croisade contre l’orgueil de l’esprit, Thring dut appuyer trop souvent et trop fort sur le même point. A le lire et à l’entendre, on serait tenté de croire que l’intellectualisme est le pire danger qui menace les petits collégiens. Mais les enfans, plus justes souvent que les hommes, ne prennent pas au mot un maître qui force la note par besoin de les convaincre ou par entraînement de poète et de lutteur. Ici d’ailleurs, l’excès n’était pas longtemps à craindre et si, d’aventure, quelque bambin d’Uppingham voua aux idées du monde