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fut de voir de tout près, pendant des années, un homme aux yeux de qui une seule chose comptait en ce monde, le devoir, et qui, manifestement, ne vivait que pour cette unique passion. Entre douze et dix-huit ans, une âme ordinaire ne peut être longtemps insensible à un pareil spectacle. On a bien pu commencer par sourire, mais peu à peu on se rend compte qu’un tel homme a trouvé le vrai secret de la vie, on le respecte, on l’admire, on l’aime, on voudrait lui ressembler, on rougit des petites bassesses quotidiennes auxquelles autrefois on ne prenait même pas garde, et insensiblement, comme un enfant qui marche à côté d’une grande personne se dresse sur la pointe des pieds pour paraitre moins petit, on se hausse l’esprit et le cœur dans l’espoir d’arriver à être moins loin d’un esprit et d’un cœur qui paraissent si haut.

« Quelle espèce d’homme était donc ce Thring ? » demandait-on un jour à un évêque anglican qui l’avait beaucoup connu. L’évêque, à ce moment, était en train de tisonner. « Thring, répondit-il, le voici tout entier : Si vous étiez entré chez lui pendant qu’il arrangeait son feu, il vous aurait démontré que rien ici-bas n’est aussi grave que de tisonner comme il faut. » C’est bien cela. Le devoir se concrète, se précise, à chaque instant, aux yeux de Thring, dans les simples obligations et besognes de la journée. Revêtue de cette dignité auguste, chaque action, prière, lecture, classe, jeux, se transforme et reçoit un prix infini. A chacune il se donnera avec le même entrain, la même fougue et la même conviction et de chacune il dira successivement qu’elle est la plus importante de la journée.

Il a raison après tout et les enfans le comprennent, eux qui savent à quel point toute pensée mondaine de vanité ou de plaisir est loin de son esprit, et de quelle hauteur il méprise tout ce qui ne tend pas immédiatement à nous rapprocher de Dieu. Car il fut aussi peu mondain qu’il est possible. Cet éducateur anglais prêcha et pratiqua, pendant toute sa vie, le mépris de l’argent, et, chose moins banale chez un directeur de collège, le mépris de l’intelligence et des privilèges de l’esprit. Ce dernier point est d’une importance capitale dans la réforme d’Uppingham.

Il y a dans presque chaque classe, au collège, et il y aura longtemps encore, du fait de notre passion égalitaire et de la sotte vanité des parens, une catégorie d’élèves auxquels les maîtres les plus dévoués ne s’intéressent que par devoir ou par