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fallut, que de ténacité, d’une part, et de l’autre que de catastrophes, de déceptions et de résignation ! Or, en 1803, les catastrophes, la France les infligeait à ses ennemis ; de résignation elle n’en connaissait d’autre que celle qu’elle exigeait d’autrui.

Un seul homme, Talleyrand, avait prévu et prédit les conditions de la paix anglaise : les anciennes limites et le traité de commerce ; il était le ministre de la politique de Bonaparte et il ne le fût pas resté une minute, congédié par le maître, désavoué par l’opinion, s’il avait osé reproduire, à titre de programme du Consulat, le mémoire qu’il envoyait de Londres, pour Danton, en 1792.

En réalité, ce sont sept cents ans d’histoire d’Angleterre qui continuent la lutte avec sept cents ans d’histoire de France. Les armes portent plus loin, les machines produisent plus vite, les meneurs d’Etat conçoivent plus en grand, opèrent à plus longue distance, avec de plus grandes masses d’hommes, mais le fond, le mobile initial, l’allure générale demeurent les mêmes. William Pitt et Bonaparte ne sont que les noms nouveaux de ces coryphées de la guerre de sept siècles, qui se sont appelés Guillaume le Conquérant et Henri Plantagenet, le Prince noir et Duguesclin, Louis XIV et Guillaume d’Orange, Chatham et La Fayette. L’esprit perturbateur du vieux monde dans la Révolution française, l’esprit conservateur de « l’Europe établie » chez les Anglais ; le prosélytisme conquérant de la France, l’expansion commerciale et mercantile des Anglais, ne firent que renouveler, sous une forme plus passionnée, cette rivalité séculaire.


ALBERT SOREL.