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fluidité de ses pensées, la logique de ses raisonnemens, subitement illuminés d’éclairs, faisaient de son talent quelque chose hors de ligne[1]. » Bien que la fatigue fût évidente chez lui, que le souffle de sa poitrine semblât défaillir à « ces phrases prodigieuses qu’il lançait jadis sans effort et que les autres hommes n’ont ni l’esprit de concevoir ni la vigueur de prononcer, » son discours parut un des plus beaux que le Parlement eût entendus. « Bonaparte absorbant tout le pouvoir de la France ; la flamme liquide des principes jacobins dévastant le monde ! » les sarcasmes impitoyables déversés sur Erskine, sa conscience et ses scrupules ! Il parla près d’une heure et demie. Il se rassit, salué par une triple salve d’applaudissement, approbation insolite, et la plus bruyante que, de mémoire d’homme, on eût manifestée aux Communes.

Le lendemain, on entendit Fox : riposte de haute éloquence, mais qui n’eut point d’écho. Vainement Fox et ses amis montrèrent-ils, dans la réunion du Piémont, un fait antérieur au traité ; dans le rapport de Sébastiani, une réponse aux polémiques de la presse anglaise ; ils n’apprenaient rien de nouveau à leurs collègues, et la majorité n’admettait plus d’objections. « La guerre pour Malte, s’écria un député ; non pour Malte, mais pour l’Egypte ; non pour l’Egypte, mais pour l’Inde ; non pour l’Inde, mais pour l’Angleterre, pour la cause de la justice, du bien, de la bonne foi, de la liberté dans le monde ! » Canning vint à la rescousse : « La paix d’Amiens, de tous ses nombreux avantages, célébrés sur tous les tons, n’en garde qu’un aujourd’hui, celui de montrer qu’une paix de cette sorte, basée sur un tel système, ne peut convenir au pays. » — Alors, s’écria Fox, « tout progrès que fera la France, au dehors et même à l’intérieur, commerce, manufacture, sera une cause de guerre, une injure pour nous ! » On l’applaudit, parce qu’il était homme de cœur et de parole vibrante ; mais, au vote, 367 voix contre 67 lui prouvèrent que, dans son ironie et croyant les flétrir, il avait exprimé les sentimens et traduit les passions de ses compatriotes.

Pour comprendre qu’en raison de ses causes mêmes, causes séculaires, la lutte était sans issue par les seuls moyens de force ; qu’aucune des deux nations ne pourrait exterminer ni même

  1. Récit d’un témoin, dans Stanhope, William Pitt.