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à minuit, Whitworth attendait toujours ses passeports. Il veillait, causant avec ses secrétaires et quelques personnes. Un domestique annonce que l’on demande Huber, qui était là. Huber sort et trouve Malouet avec Regnaud, dépêchés par Joseph : ils offrent de remettre Malte, en dépôt, à la Russie. Huber rapporte leurs paroles à Whitworth qui répond : « L’Angleterre désire Malte pour sa propre sécurité, et non pour la donner à quelque autre puissance, si amie qu’elle soit. Cette proposition ne justifie pas la plus légère désobéissance aux ordres de Sa Majesté. » Les visiteurs nocturnes se retirent, décontenancés. Le 4, Talleyrand invite Whitworth à une conférence, il offre la remise de Malte à l’une des trois puissances garantes, et il demande que Whitworth en réfère à Londres. Whitworth refuse, mais, voyant que l’on recule, insiste pour la cession de Malte à l’Angleterre pour dix années, Talleyrand y consent, et Whitworth promet d’envoyer un courrier à Londres. La promesse faite, il se la reproche. Il confie ses scrupules à Markof. Ce Russe lui répond que l’ouverture de Talleyrand « tend visiblement à déjouer le but que se proposait la cour de Londres ; » c’est un témoignage de plus « de l’hésitation du Premier Consul, suite naturelle du désir qu’il a d’éviter la guerre dans ce moment-ci. » Whitworth, cependant, envoie son courrier.

Bonaparte a donné le mot d’ordre, et, quoi qu’ils en pensent au fond, ses ministres, ses agens le répètent. Il n’est question que du blocus. « Il n’y a qu’une voix en France sur la nécessité de fermer à l’Angleterre tous les ports du continent de l’Europe et toutes communications avec le commerce de ces pays. Le système favori du Premier Consul, écrit Lucchesini, est l’exclusion de toute autre puissance que la France du commerce étranger et de l’industrie nationale. » La réponse de l’Angleterre arrive, le 9, à Whitworth, qui la communique aussitôt à Joseph Bonaparte : l’Angleterre maintient son ultimatum : refus de confier Malte à la Russie ; l’Angleterre conservera cette île jusqu’à ce que Lampedusa lui soit remise et soit fortifiée ; évacuation de la Suisse et de la Hollande ; indemnité au roi de Sardaigne. Joseph rapporte, de mémoire, cette réponse à Bonaparte. Whitworth demande à Talleyrand une audience pour le 10. Point de réponse. Il envoie l’ultimatum par un secrétaire : Talleyrand est absent. Le secrétaire remet le pli à Durant, chef de division, un des « plus affidés » du ministre, et qui, prétend l’ami