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diplomates. Whitworth s’abstint d’y paraître. On raconta qu’il faisait ses malles. Bonaparte aurait désiré le retenir : si Whitworth retardait son départ, des ouvertures étaient encore possibles. Il le dit à Markof, ajoutant toutefois : « L’Angleterre en agit avec la France comme si c’était une puissance du dernier ordre. » Et à Lucchesini : « Le Cabinet de Saint-James a pris le ton et les allures qui lui réussirent pendant les négociations du traité d’Utrecht. Pour calmer ses inquiétudes, il faudrait admettre de nouveau un commissaire anglais à Dunkerque et à Boulogne, combler les ports de la France et brûler tous les ateliers de ses manufactures ; il faut supposer aux Français une âme de boue et point de sang dans les veines pour les traiter de la sorte… »

Puis, les diplomates s’étant retirés, Bonaparte retint les sénateurs, les conseillers d’État. Il les harangue avec véhémence : « Les ministres anglais veulent nous faire sauter le fossé, et nous le sauterons… L’indépendance des États marche avant la liberté, avant la prospérité du commerce et de l’industrie… Admettre une modification au traité d’Amiens, c’est le premier anneau de la chaîne… » Accorder Malte, c’est l’asservissement complet, le traité de 1786 aggravé, le droit de visite ! « Nous avons acquis une assez grande étendue de côtes pour nous rendre redoutables ; nous ajouterons encore à cette étendue ; nous formerons un système de côtes plus complet, et l’Angleterre finira par pleurer en larmes de sang la guerre qu’elle aura entreprise. »

C’était le blocus, c’est-à-dire le retour à la politique formidable du Comité de salut public, la guerre sans fin, les assignats ! Tout ce qui s’était placé, classé, installé, enrichi dans la Révolution, consolidé dans le Consulat, tout ce qui se figurait aussi que, pour gagner l’Angleterre à la paix française, il suffisait de lui abandonner Malte, que la France n’avait pas su défendre, et l’Egypte que la France avait dû évacuer, se remit de plus belle en campagne pour retenir Whitworth.

Cet ambassadeur avait réclamé ses passeports pour le 2 mai. Talleyrand le traîne jusqu’au soir, et au lieu des passeports, lui envoie une note, raccrochant la procédure : avant de répondre à l’ultimatum et de rompre la paix d’Amiens, la France doit consulter l’Espagne et la Hollande, ses alliées, qui ont signé avec elle au traité ; la Russie, la Prusse, l’Autriche, ses amies, qui ont garanti la restitution de Malte aux chevaliers. Le 3 mai,