Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 11.djvu/325

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

présente au Foreign Office, voit M. Hammond, livre des papiers qu’il a volés à Paris et offre ses services. On l’éconduit « vu l’état de paix ; » mais, « si les circonstances changeaient, » on accepterait ses offres avec plaisir. Or les « circonstances » tendent à changer. Comment les Anglais proscriraient-ils les Bourbons, quand ils se figurent que tant de Français sont résignés à la paix, même sans la Belgique et sans le Rhin, que la « faction des anciennes limites » fait cause commune avec celle des « amis de l’Angleterre » et que tous les opposans au Consul, républicains, royalistes ou constitutionnels, communient dans la même foi et la même complaisance à l’Angleterre. Cette « paix anglaise, » les Bourbons seuls la signeraient, et l’Angleterre se trouve avec Louis XVIII et Bonaparte dans les conditions où se trouvait Louis XIV avec Jacques II et Guillaume III : les droits sacrés de l’hospitalité couvrent les calculs de la politique. Talleyrand adresse, le 1er mars, à Andréossy, un mémoire sur les mesures que l’Angleterre réclama de la France, pour l’expulsion des Stuarts, en vertu de l’article 19 du traité d’Aix-la-Chapelle : « Il vous sera facile, dans vos conversations, d’établir l’analogie des circonstances. » L’analogie la plus claire, c’est que la paix ayant été signée le 18 octobre 1748, le 16 avril 1755, avant que la guerre fût déclarée, l’amirauté anglaise ordonnait aux marins d’attaquer, capturer et détruire les vaisseaux français qu’ils rencontreraient[1].

Ce n’est plus du Canada qu’il s’agit, ni même directement des Indes ; les Anglais en sont maîtres ; mais ils veulent tenir les embarcadères et les routes : Amsterdam, Anvers du côté des Indes occidentales, la Méditerranée, l’Egypte du côté des orientales. Pour Nelson, la Méditerranée est la cause vraie du conflit, le champ de rivalité, le champ de bataille. Il voit, il montre trois points sur la carte : Gibraltar qu’ils tiennent, Alexandrie qu’ils auraient tort d’évacuer, Malte qu’ils ne rendront pas. « Je considère, dit-il, Malte comme une station des plus importantes sur la route de l’Inde… J’espère que nous ne l’abandonnerons jamais. » Et Simon Woronzof, si répandu, si bien informé : « Tel qu’il soit (le ministère anglais), son système sera toujours celui d’anéantir la France, comme son unique rivale, et régner après despotiquement sur l’univers entier. Il a laissé faire Bonaparte

  1. Richard Waddington, Louis XV et le renversement des alliances, Paris, 1896.