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travaillent à rompre l’alliance française. Il excite sa polémique, éperonne ses espions ; il refuse d’entendre parler de relations commerciales. « Nous ne paraissons pas être en paix, » écrit-il à Talleyrand. La conduite de l’Angleterre est « une injure perpétuelle au peuple français. » Il faut en finir, cependant. C’est une phrase qui revient en tous ses discours : « Le temps de la tranquillité est arrivé en Europe[1]. » Il dit à Markof : « Les flots excités par le dernier orage ne sont pas encore assez calmés pour ne pas faire craindre une nouvelle tempête, et, dans le cas d’une nouvelle explosion, mon parti est pris de faire proclamer l’empire des Gaules et de marcher à nos ennemis. » C’est l’épouvantail césarien : il se flatte d’en terrifier le continent.

L’acte de médiation de la Suisse se prépare, ostensiblement. Le 10 décembre, Bonaparte adresse aux délégués ce discours, qui porte loin : « La neutralité convient seule à la nature de votre pays et à vos intérêts ; » mais, ajoute-t-il : « Je dois vous parler comme magistrat d’un grand pays et ne pas vous déguiser que jamais la France et la République italienne ne pourront souffrir qu’il s’établisse chez vous un système de nature à favoriser nos ennemis. » L’histoire a placé la Suisse entre la République italienne et la France ; l’Angleterre n’a rien à y prétendre. « Je ne puis souffrir que la Suisse soit un autre Guernesey du côté de l’Alsace. Il faut que l’Angleterre ne puisse entretenir en Suisse un seul homme suspect. »

Toutefois, il croyait la guerre sinon évitable, au moins éloignée. Il fait partir l’expédition de l’Inde, et il donne, dans les derniers jours de janvier 1803, ces instructions à Decaen, qui en a le commandement : « Le capitaine général arrivera dans un pays où nos rivaux dominent, mais où ils pèsent également sur les peuples de ces vastes contrées. Il doit donc s’attacher à ne leur donner… aucun motif de discussion et à dissimuler le plus possible les vues du gouvernement. » Tout en cherchant à lier des relations « avec les peuples ou les princes qui supportent avec le plus d’impatience le joug de la Compagnie anglaise, » il s’étudiera à ne donner à cette compagnie aucune inquiétude. « Les Anglais sont les tyrans des Indes ; ils sont inquiets et jaloux ; il faut s’y comporter avec douceur, dissimulation et simplicité. » Decaen indiquera quelles forces il faudrait pour aider

  1. Bonaparte à Talleyrand, 18 et 28 décembre ; rapports de Markof, 13 décembre ; de Whitworth, 23 décembre 1802.