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que l’extension de la puissance française a été prévue par les négociateurs du traité ; que ce ne sont point des nouveautés, que c’est le développement d’un état de choses connu : on ne l’écoute pas. Le ministère demande, le 8 décembre, que le pied de paix soit porté à 130 000 hommes. « La destruction de notre pays est la première vision qui pénètre Bonaparte avec le premier rayon du matin, s’écrie Sheridan ; c’est sa dernière pensée le soir, à quelque déité qu’il s’adresse, Jupiter, Mahomet, la déesse des batailles ou celle de la Raison. »

Pitt n’a pas encore reparu au Parlement ; mais il remonte sur la scène, il écrit, il cause. Il dit à Malmesbury : « La France est une puissance factice, cela ne peut pas durer, mon temps reviendra. Quelque grande que puisse être la France, notre revenu égale celui de l’Europe, notre marine est supérieure à celle de toute l’Europe. » Canning incrimine le ministère : « Tôt ou tard, il faudra qu’il agisse, sans quoi le pays est perdu… Il n’y a autre chose que concession, concession, concession[1] ! »

Sur ces entrefaites, Whitworth arrive à Paris. C’est un homme de cinquante ans : « grand, parfaitement beau, » de tournure noble, représentant, avec magnificence, un pays prospère et un État al lier. Un de ses premiers rapports est pour signaler les vues persistantes de Bonaparte sur l’Egypte et recommander la vigilance. Il tient pour la paix agitée. « Chaque nouvelle année de paix, écrit-il, le 1er décembre, tout en affaiblissant le gouvernement consulaire, donnera de la force et du courage à ceux dont c’est le but et l’intérêt de le renverser. De fait, nous entretenons, en maintenant la paix, un état de guerre, contre ce gouvernement, qui est plus décisif et plus dangereux par lui-même que des hostilités déclarées. »

Bonaparte ne s’y trompe pas : l’Angleterre ne rendra pas Malte. Les prétextes de ne point rendre cette île changent avec les époques : naguère c’était la république italienne, désormais ce sera la Suisse. Bonaparte apprend qu’à Londres les ci-devant fabricans de faux assignats se mettent, chose plus redoutable, à fabriquer de faux billets de la Banque de France ; que les émigrés complotent à Jersey, que des émissaires anglais parcourent les ports d’Italie, que les partisans de l’Angleterre s’agitent en Hollande et, sous le couvert d’une neutralité louche,

  1. Canning à Malmesbury, 14 décembre 1802.