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se réunissent au déclin du soleil quelques bébés un peu pâlis, les uns amenés de France, les autres éclos en exil. Là, parmi les beaux arbres des Tropiques, on a érigé, autour de la statue de Dupleix, quantité de colonnes, si hautes et si fines que l’on dirait presque des mâts de navire ; et ce sont de précieux monolithes, des fuseaux de granit sculpté, en beau style indien, té moins de notre grandeur passée : le maharajah du pays les avait jadis offerts à ce même Dupleix, pour orner le palais de France, qui, hélas ! ne fut jamais construit…

Le long de la plage, déferle en grandes volutes une mer très remuante, où l’on n’aperçoit point de voiles, et dont l’aspect est inhospitalier, emprisonnant comme au Travancore. Une estacade de fer s’avance au milieu des lames, pour permettre de communiquer avec les paquebots qui viennent mouiller en face, s’arrêtant chaque fois le moins possible. Et les quelques grandes barques, çà et là échouées sur le sable, indiqueraient à elles seules l’insécurité de ces parages, tant elles sont massives, solides, bâties pour la lutte.

« Pondichéry, ville de palais, » — dit-on dans l’Inde. Et en effet, autour du gouvernement, quelques belles et anciennes demeures, aux colonnades de temple grec, justifient l’appellation, endormies derrière leurs stores de nattes, leurs stores baissés, au milieu de jardins.

En plus des officiers et des fonctionnaires de la colonie, on trouve ici quelques familles créoles, arrivées à l’époque héroïque et devenues tout à fait pondichériennes après quatre ou cinq générations. Vieilles dames aux gentilles manières un peu surannées. Vieux salons d’un charme un peu mélancolique, avec leurs fauteuils du XVIIIe siècle, avec leurs pendules Louis XVI ou Empire, aventureusement venues jadis par le cap de Bonne-Espérance, alors que l’on ne prévoyait pas encore le transit égyptien, et ayant compté les heures de tant d’existences languides, ayant précisé la minute de tant d’agonies en exil… C’est enfantin sans doute, mais les pendules d’autrefois, rencontrées aux colonies, arrêtent toujours longuement ma pensée…

La ville indigène, qui fait suite à la « ville blanche, » est grande, animée, d’ailleurs très hindoue, avec ses bazars, ses palmiers, ses pagodes.

Et les Indiens y sont français, tiennent à notre France, se plaisent au moins à le répéter.