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Pondichéry et celui de Gorée étaient les deux qui me jetaient dans les plus indicibles rêveries d’exotisme et de lointain. Vers mes dix ans, une grand’tante, très âgée, me parlait un soir d’une amie à elle qui avait habité Pondichéry, et me lisait un passage d’une de ses lettres, déjà datée alors d’au moins un demi-siècle en arrière, où il était parlé des palmiers, des pagodes…

Oh ! la mélancolie d’arriver là, dans cette vieille ville lointaine et charmante, où sommeille, entre des murailles lézardées, tout un passé français ! Des petites rues un peu comme chez nous, au fond de nos plus tranquilles provinces ; des petites rues bien droites, aux maisonnettes basses, aux maisonnettes centenaires, blanches de chaux sur un sol rouge ; des murs de jardins, d’où retombent des guirlandes de liserons ou de fleurs tropicales ; des fenêtres grillées, derrière les barreaux desquelles on aperçoit quelques figures pâles de femmes créoles, ou bien des métisses, trop jolies, avec du mystère indien dans les yeux.

Rue royale, rue Dupleix. On lit ces noms gravés dans la pierre, en lettres du XVIIIe siècle, de forme surannée, comme je me souviens d’en avoir vu encore, à des coins de ma ville natale, sur quelques maisons anciennes. Rue Saint-Louis et quay de la Ville blanche, — quay avec un y…

Au centre de Pondichéry, une très grande place s’étend comme une savane, toujours déserte, envahie par l’herbe, et ornée en son milieu d’une sorte de fontaine décorative, qui n’a peut-être pas cent ans, mais qui a pris un air très vieux sous ce soleil destructeur ; — et qui est infiniment triste à regarder, je suis incapable de dire pourquoi.

Et dès l’abord, moi, si étranger partout ailleurs dans l’Inde-voisine, je me suis senti prendre ici par un charme très particulier, ce vieux charme de patrie que rien ne remplace, et que nos grandes colonies d’Extrême-Orient, trop nouvelles, n’ayant point de passé, ne possèdent pas encore.

Vieille petite ville qui dure par tradition, qui vit parce qu’elle a vécu, systématiquement isolée du reste de l’Inde par nos hostiles voisins, et n’ayant, sur le golfe de Bengale, ni port, ni rade où nos bateaux puissent s’abriter. Point d’électricité, ni de tuyaux qui fument. Point de transit affolé, comme à Calcutta ou à Madras. Point d’étrangers non plus, ni de touristes ; on ne passe pas par Pondichéry, et qui donc y vient pour y venir ?

Devant la mer, un jardin où la musique joue le soir et où