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déjetées par les siècles, qui ont été des torchères, des objets d’usage mystérieux pour le culte de la déesse. Et au milieu, s’agite une foule de ces mendians, nus sous de longues chevelures, dont les temples sont toujours hantés ; des gardes, avec des cris, les écartent et les bousculent, car ils se pressent tous, curieusement, autour d’une sorte de barrière, faite de deux rangées de cordes attachées d’un pilier à un autre.

Pour me livrer passage, une partie des cordes tendues s’abaissent, puis elles se raidissent à nouveau et m’enferment dans leur cercle, avec les prêtres. Et j’ai devant moi une très grande table, recouverte d’un tapis noir, sur laquelle les parures de la déesse sont amoncelées.

Près de cet entassement de pierreries et d’or, on me fait asseoir dans un fauteuil ; on me met au cou une guirlande de soucis, et les prêtres commencent de me présenter les joyaux séculaires, sortis pour une heure de leurs cachettes profondes ; ils me les font toucher, ils s’amusent à les jeter l’un après l’autre sur mes genoux. Par douzaines, des tiares d’or, massives et garnies de pierres de toutes couleurs. Des torsades de rubis et de perles, qui ressemblent à des serpens boas. Des bracelets qui ont mille ans. De vieux gorgerins si lourds, que d’une seule main on a peine à les soulever. De grands vases, comme ceux que portent les femmes à l’épaule quand elles vont puiser aux fontaines, mais en or fin, martelé et repoussé. Pour orner la poitrine, une plaque d’un bleu incomparable, composée de cabochons de saphir gros comme des noix. — Du fond du temple m’arrivent des musiques lointaines, pendant que l’on remplit mes mains de ces étranges richesses : grondement des tam-tam, plainte assourdie des conques sacrées et des musettes. Et, de temps à autre, derrière moi, il y a bagarre ; cris des gardes chassant les meurt-de-faim attroupés, dont la poussée risque de briser l’enceinte fragile des cordes. — Maintenant voici des étriers d’or massif incrustés de diamans, sans doute, pour les chevauchées de la déesse. Voici de fausses oreilles en or, avec glands en perles fines, que l’on accroche de chaque côté de sa petite tête d’avorton rose, les jours de procession. Et voici les fausses mains en or et les faux pieds que l’on attache au bout de ses petits membres de fœtus, chaque fois qu’elle doit quitter l’ombre du temple pour quelque solennelle promenade…

Une fois épuisés les trésors dont cette table était follement