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Une puissante vie matinale anime déjà les abords de ce labyrinthe de pierre. Le long de l’avenue préparatoire, dans toutes les stalles de granit, dans toutes les niches entre les statues terribles, les marchands de fleurs sont à l’ouvrage, tressant des guirlandes de souris, entremêlant des roses de Bengale et des fils d’or. Les hommes demi-nus vont et viennent, la chevelure ruisselante des premières ablutions, les yeux en rêve et en prière. Les éléphans sacrés, les vaches sacrées qui habitent les sombres nefs, les oiseaux du ciel qui nichent sur les tours, aux différens étages des pyramides rouges, tout cela frémit et s’ébat dans le clair matin, tout cela donne de la voix, crie, beugle ou chante.

Des prêtres m’attendaient, ainsi qu’il était convenu, et m’emmènent avec eux dans des profondeurs obscures.

Une lourde porte de cuivre s’ouvre devant moi : celle de la partie secrète du temple. Et, après une nef bordée de dieux noirs, emplie d’ombre comme une caverne, voici, dans un rayonnement de lumière pure, la piscine très sacrée qui s’appelle : « l’étang du lys d’or ; » c’est, à ciel ouvert, un carré d’eau profonde, avec des marches de granit tout autour, pour y descendre ; sur ses quatre faces, courent des colonnades exquises, des voûtes sculptées, des voûtes peintes en un style hiératique et grave, des cloîtres pour la promenade recueillie des brahmes. Un côté du jaloux enclos baigne encore dans la pénombre fraîche et bleue, tandis que déjà le soleil, de l’autre côté, éclaire en rose, éclaire en vermeil de matin. Au-dessus de la ligne régulière de ces cloîtres, qui tiennent le lac enfermé, les tours du temple, — toujours les prodigieuses pyramides de dieux rouges qui dominent tout, que l’on voit de toutes parts, — les tours resplendissent en plein ciel, à différentes distances, à différentes hauteurs, environnées de leurs tourbillons d’oiseaux ; et une coupole d’or étincelant monte aussi là-bas, celle qui surmonte le saint des saints, le lieu du plus grand mystère où aucune influence humaine ne saurait me donner accès. Oh ! l’étrange lac, et quelle immobilité figée ! Toutes les colonnes du pourtour se mirent, se dédoublent, s’allongent, renversées, dans l’eau qui est sans une ride, dans l’eau qui semble morte entre ses bords trop sévères et trop magnifiques. Et une paix sans nom imprègne cet « étang du lys d’or, » ce miroir de soleil, de nuages ou d’étoiles, caché au cœur de l’immense temple.

Il faut renoncer à comprendre par quels chemins les prêtres