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laissa ruisselante de pierreries comme une idole. Très riche et libre aujourd’hui, elle emploie sa fortune à des œuvres d’art ou à des œuvres de bien. Et, dans un théâtre qu’elle a fondé tout exprès, elle fait revivre par son jeu charmant les anciennes tragédies classiques de l’Inde, antérieures de quelques milliers d’années aux nôtres.

C’est sous la splendeur de la lune que je me rends ce soir au théâtre de Balamoni, la bonne bayadère, et c’est en traversant des bois de palmiers dont les plumets noirs, remués par un peu de brise, se froissent doucement, au bout de tiges penchées en tous sens et frêles comme de longs roseaux.

Balamoni est en scène quand j’arrive à ma place ; un peu en recul au fond d’un jardin de fleurs peintes, dans la petite tourelle d’or d’un palais de féerie où elle est captive, elle chante à sa fenêtre en s’accompagnant sur une mandoline précieuse. Elle est une jeune princesse fiancée au fils d’un roi des paysans voisins qui bientôt viendra la chercher. Dès les premières notes, on se sent pris par cette musique-et par cette voix ; le costume est copié sur d’antiques bas-reliefs, la silhouette est exquise, et à chacun des gestes de la chanteuse, on voit étinceler des diamans et des rubis dont elle est couverte.

Le reste du décor est d’une naïveté sans doute invoulue, qui amuse les yeux tout en donnant une impression intense d’exotisme et de lointain. La salle très vaste, pour plus de mille personnes, mais sans recherche d’aucune sorte, est tout simplement une de ces constructions légères en bois, en nattes et en bambou, comme celles que l’on l’ait ici pour les grandes fêtes religieuses, aux abords clos temples. Des deux côtés de la scène, il y a des loges pour les princesses de l’ancienne famille souveraine ; mais elles ne viendront point ce soir, ce n’est pas leur jour. Et par ailleurs, tout le parterre, tous les sièges sont garnis de spectateurs au torse nu. Une température de serre chaude, et des parfums de fleurs.

C’est dans une langue disparue, mère de nos langues indoeuropéennes, c’est en sanscrit[1] que Balamoni chante, et que la pièce entière sera jouée, comme elle a été écrite jadis, dans la nuit des temps ; mais tous les personnages qui écoutent, excepté moi, ont assez d’érudition pour comprendre,

  1. Sous sa forme dérivée, le pali.