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se dissimule comme dans une fosse ; je ne puis voir que ce simulacre d’édifice, couronnant le trône où le dieu invisible est assis. On n’entend d’ailleurs ni les cris ni les musiques. Et c’est la dernière image que me laisse le char de Vichnou, celle d’une tour qui a l’air de se mouvoir d’elle-même, au Lord des terrasses, en silence, seule dans une solitude de pierres.


V. — A MADURA, CHEZ DES BRAHMES

A Madura, ville qui fut jadis la capitale d’un roi fastueux, il y a un temple dédié à Shiva et à Parvâti, son épouse, déesse aux yeux de poisson[1] ; temple plus grand que notre Louvre, infiniment plus ouvragé, plus sculpté, et peut-être aussi rempli de merveilles.

Par l’influence du gracieux Maharajah du Travancore, je pourrai sans doute pénétrer assez avant dans ce sanctuaire, descendre dans les souterrains, voir les trésors et les parures de la déesse. La ville, bien que très indienne, est cependant accueillante aux étrangers, qui y fréquentent beaucoup, et les temples n’y sont point farouchement gardés, comme dans quelques États voisins.

Au Travancore, on m’a donné des lettres aussi, me permettant d’être reçu à Madura dans des familles des différentes castes. Et je me présente d’abord chez des brahmes, qui sont, aux Indes, ce qu’il y a de plus particulier et de plus pur.

Une maisonnette lourde et massive, composée d’un rez-de-chaussée et d’un étage, type de presque toutes les demeures de cette ville pour les gens de caste noble. Une véranda dont les colonnes portent au sommet des têtes de monstre. Un petit escalier de pierre, conduisant à l’appartement d’honneur qui est au premier, regardant la rue par trois minuscules fenêtres festonnées. Là, me reçoit le chef de la famille, vieillard à tête blanche, entouré de quatre jeunes hommes, ses fils. Des traits de peinture bleu noir soulignent leurs longs yeux. En fait de vêtemens, ils ne portent qu’un morceau de toile autour des reins, ce qui ne les empêche pas d’avoir grand air, distinction, noblesse et grâce. La salle, blanchie à la chaux, strictement propre, parfumée de je ne sais quel encens qui a brûlé, n’est pas sans une certaine élégance. Les fauteuils sont d’ébène sculptée. Aux murs,

  1. En indien : Minakchi.