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au Luxembourg par une lettre de Louis XIV. Cette nouvelle avait mis Monsieur hors des gonds, et il avait fait le rodomont avec tant de vérité, que Madame s’y était laissé prendre une fois de plus. « Il était dans un emportement inconcevable, raconte Retz, et l’on eût dit, de la manière dont il parlait, qu’il était à cheval, armé de toutes pièces et prêt à couvrir de sang et de carnage les plaines de Saint-Denis et de Grenelle. Madame était épouvantée. » Elle s’efforçait de l’apaiser ; mais plus elle suppliait, plus il menaçait de tout pourfendre.

Son ardeur martiale s’évanouit en recevant un ordre d’exil (21 octobre 1652). C’était pendant que le roi faisait son entrée à Paris, et l’on entendait de tous côtés des coups de feu ; le peuple, selon l’usage du temps, tirait en l’air en signe de réjouissance. Rien ne put ôter de la tête de Monsieur, tout vieux Parisien qu’il fût, que ces décharges provenaient des troupes du roi, et qu’on venait l’assiéger dans son palais. La peur le prit. Il allait et venait avec agitation, envoyait à la découverte, ouvrait les fenêtres pour tendre l’oreille, et pressait son départ, qui eut lieu le lendemain avant l’aube. Il ne respira que dans la vallée de Chevreuse.

Personne ne songeait à le retenir, bien au contraire. Mazarin, qui gouvernait la France du fond de son exil, était résolu à en finir avec lui : — « Que Son Altesse Royale, écrivait-il, s’en aille dans son apanage[1]. » Son Altesse Royale s’étant arrêtée à son château de Limours, Michel Le Tellier, secrétaire d’Etat à la Guerre, courut l’y trouver, et ce fut la répétition des scènes d’autrefois avec Richelieu. Pour ses adieux à la vie publique, Gaston d’Orléans dénonça Retz, comme jadis Chalais, Montmorency, Cinq-Mars et tant d’autres. Lorsqu’il eut dit tout ce qu’on voulait, préparant ainsi l’arrestation du cardinal, qui allait étonner Mademoiselle à Saint-Fargeau, le roi « lui permit de se retirer à Blois[2]. » Monsieur obéit de mauvaise grâce ; il sentait qu’on l’enterrait tout vif.

Ce n’était pas la première fois qu’il habitait Blois malgré lui. Les séjours forcés qu’il y avait faits sous Louis XIII n’avaient pas été désagréables, contrainte à part, parce qu’ils n’étaient pas définitifs et que lui-même, étant jeune et gai, s’arrangeait très bien de vivre un temps en petit roi d’Yvetot. Il avait reconstruit

  1. Lettre du 12 octobre, à l’abbé Fouquet.
  2. Mémoires de Montglat.