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de Taine, ont régi en d’autres temps, régissent encore la conduite humaine, à Bornéo, par exemple, ou vers les sources de l’Amazone ; et qui sait ? pouiquoi d’autres paroles ne seraient-elles pas prononcées un jour, un autre Fiat lux dont une autre humanité fera son guide et sa loi ? Nous n’avons donc encore atteint rien d’absolu ; nous sommes toujours dans le « relatif ; » il est loisible, il est scientifiquement permis à un Arabe, à un Chinois de préférer à la nôtre la civilisation dans laquelle il est né ! Taine répond ici : « Non ! Parce que notre consigne, cette consigne qui consiste pour nous dans le respect de soi et des autres, » engendre cet effet que « chaque individu peut se développer selon sa nature propre, partant inventer en tout sens, produire en tout genre, être utile à soi-même et aux autres de toutes les façons, ce qui rend la société capable d’un développement indéfini. »

Voilà, Messieurs, le critérium ! Nous n’atteignons rien encore d’absolu ; — et la raison de l’homme, réduite à ses seules forces, peut-elle atteindre quelque chose d’absolu ? — mais nous atteignons quelque chose d’ « objectif. » La preuve que ces mots de « conscience » et « d’honneur » ne sont pas de vains mots, verba et voces, prœtereaque nihil, c’est qu’il en est sorti des conséquences, c’est que ces conséquences se sont « objectivées, » concrétées, pour ainsi parler, inscrites en caractères ineffaçables dans la réalité de l’histoire ; c’est qu’elles se sont traduites en un accroissement de puissance ou de bonheur pour l’humanité tout entière ; c’est que cet accroissement se mesure, et se compte, et se chiffre. Ce que nous appelons des noms de progrès et de civilisation, si ce n’est rien d’absolu, n’est cependant pas quelque chose de si relatif que nous n’y puissions discerner des degrés, des rapports de subordination, des raisons d’infériorité ou de supériorité. Une « capacité de développement » peut être nulle, égale à zéro ; elle peut être moindre ; elle peut être plus grande ; elle peut être « indéfinie. » En d’autres termes, il y a donc un jugement de la valeur des choses, puisqu’il y en a une échelle ; il y a un juge dont les arrêts ne dépendent pas des circonstances, qui rend bien des arrêts, et non pas des services. Et quand nous nous tromperions, Messieurs, dans les jugemens que nous rendrions après et d’après ce juge, je ne dis certes pas qu’il n’importe guère ! Il importe au contraire beaucoup, et on ne se trompe jamais moins impunément qu’en matière sociale. Mais ces rapports, quels qu’ils soient, n’en existeraient pas moins ! Mais rien ne nous empêcherait de croire qu’un jour nous les découvrirons ! Mais la certitude de leur existence n’en serait pas moins le solide et inébranlable fondement de notre confiance en nous-mêmes et