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provoquées de leur part, que reste-t-il ? Il reste que le pays est partagé en deux fractions à peu près égales au sujet des décrets de M. Combes, et que ceux qui les approuvent, le plus souvent du bout des lèvres, ne sont pas sensiblement plus nombreux que ceux qui ont préféré n’en rien dire, ou qui ont demandé que la loi fût appliquée avec plus de modération. Si c’est un succès pour le ministère, il est médiocre ; il n’est pas fait pour décourager les efforts, ni les espérances des amis de la liberté.

La force du ministère n’est pas dans l’opinion du pays, opinion qui est en ce moment peu sûre d’elle-même, hésitante et coupée en deux. M. Jean Darcy faisait, dans le dernier numéro de la Revue, le décompte des voix qui, au milieu d’un nombre considérable d’abstentions, se sont prononcées, aux élections dernières, pour ou contre la politique de M. Combes. Il s’en faut de beaucoup que la proportion des voix ministérielles soit la même dans le pays que dans la Chambre, et peu de chose suffirait pour changer la majorité en minorité. M. Goblet avait déjà fait cette constatation, d’où il tirait un conseil de prudence pour son parti, conseil dont celui-ci s’est peu embarrassé jusqu’à présent. Si la force du ministère n’est pas dans le pays, où est-elle donc ? Est-elle dans la Chambre, où la majorité ministérielle s’est manifestée, nous le reconnaissons, avec quelque évidence ? Mais les majorités parlementaires sont mobiles, et il serait dangereux de trop se fier à leur solidité. La vraie force du ministère est dans la confiance que le parti radical-socialiste a en lui-même, et que les derniers événemens lui ont donnée, confiance qui va volontiers jusqu’à l’arrogance contre ses adversaires, et qui se traduit par un esprit de domination et de despotisme du caractère le plus impérieux. Cet esprit s’exerce d’abord et avant tout sur les ministres eux-mêmes. Qu’ils se soumettent docilement, servilement, à la politique du parti, et ils seront forts de toute sa force. Le jour, au contraire, où ils auraient une idée personnelle et où ils chercheraient à la faire prévaloir, ils seraient brisés impitoyablement. Dans ces conditions, il importe assez peu que ce soit M. Combes ou un autre qui soit ministre ; un autre ne ferait pas, et ne pourrait pas faire autre chose que lui. Sans doute il y a toujours eu, et il doit y avoir tendances communes et loyale solidarité d’opinion entre un ministère et la majorité qui le soutient ; mais, aujourd’hui, il y a maîtrise absolue de celle-ci sur celui-là et soumission non moins absolue de celui-là à celle-ci. Un ministre, quand même il serait censé avoir rendu les plus grands services, n’est rien par lui-même ; il ne compte pas ; il n’a pas le poids d’un fétu. A la moindre tentative de