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triomphant, et, lorsqu’une d’elles sera détruite, si nous la laissons détruire, on procédera à la destruction d’une autre ; mais la liberté d’enseignement a été choisie pour subir les premiers assauts, et c’est elle, par conséquent, qu’il faut défendre tout d’abord. Les fondateurs de la Ligue se rendent parfaitement compte de la solidarité qui existe entre toutes les libertés. « Ceux qui ont découvert, disent-ils, que la liberté de l’enseignement compromettait « l’unité morale delà « France » et qui, pour fortifier cette unité, commencent par essayer d’introduire entre Français de nouveaux germes de division, s’apercevront, en effet, quelque jour, que la liberté de la presse, par exemple, est un bien autre empêchement à l’uniformité de servitude qu’ils rêvent. Après avoir coulé tous les enfans dans le même moule d’étroit jacobinisme, ce seront les hommes, les citoyens, qu’ils auront la prétention d’y maintenir et d’y enfermer. » Rien n’est plus vrai, et cela ne l’est pas seulement de la liberté de la presse, mais de toutes, car elles ont toutes pour objet et pour effet de laisser la nature humaine à son infinie diversité, tandis que le dogme jacobin se propose de la ramener à un type unique, sous la surveillance et sous la dictature d’une majorité. S’il reste une seule liberté, l’unité morale du pays sera toujours en péril. Les fondateurs de la Ligue énumèrent les atteintes multiples qu’on a portées, ou essayé déporter, tantôt à l’une, tantôt à l’autre ; mais, pour le moment, ils font converger leurs efforts vers la défense de l’enseignement libre. C’est une campagne à long terme dans laquelle ils s’engagent, et nous craignons qu’ils ne satisfassent point en cela certaines impatiences. Les résultats ne peuvent, en effet, être obtenus que par un labeur persévérant. Cela est fâcheux sans doute, mais inévitable. Il vaudrait mieux sans doute que le but pût être atteint à la suite d’une démonstration bruyante, ou d’un simple refus de payer l’impôt. Malheureusement il n’en est pas ainsi. Le mal qui a été fait dans ces dernières années est beaucoup trop profond pour pouvoir être guéri par une simple secousse miraculeuse. La Ligue de la liberté de l’enseignement le sait bien, puisqu’elle déclare qu’il faut ouvrir « une agitation légale, mais régulière, soutenue et prolongée, dont la persistance finisse par ouvrir les yeux des plus indifférens sur le danger que la suppression de la liberté d’enseignement ferait courir à toutes les autres libertés. » Et, certes, nous ne disons pas que cette Ligue puisse faire la besogne à elle seule ; il faut l’aider, l’appuyer, combattre avec elle ; il faut se servir de toutes les libertés qui nous restent, et, par exemple, de la liberté de la parole et de la presse, pour venir au secours de celle qui est immédiatement