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On a parlé ensuite de le payer par douzièmes, ce qui serait sans doute un désagrément pour les percepteurs, mais non pas pour l’État, qui, parfaitement assuré de la rentrée finale de toutes les taxes qui lui sont dues, a des moyens de trésorerie faciles pour faire face à ses besoins quotidiens. On a parlé aussi de retirer les dépôts des Caisses d’épargne : il est peu probable que cette campagne produise des résultats sensibles. Ceux qui ont fait des dépôts aux Caisses d’épargne ont cru y trouver un avantage, et l’immense majorité d’entre eux ne renonceront pas à le poursuivre. Tous ces projets ne sont que chimères.

Le pays, dans son ensemble, ne renoncera pas à ses vieilles habitudes fiscales, parce que le ministère en a imprudemment troublé quelques autres d’un ordre tout différent. Les adversaires du gouvernement ont fait déjà un certain nombre de tentatives, qui n’ont pas réussi : qu’ils renoncent à en faire de nouvelles, qui réussiraient encore moins. Qu’ils renoncent surtout à répondre à une illégalité discutable de la part du gouvernement par une illégalité qui, de la leur, serait certaine. C’en est une, de ne pas payer l’impôt, lorsqu’il a été régulièrement voté par les Chambres. Les Chambres peuvent le refuser à un gouvernement dont elles sont résolues à se défaire à tout prix : le procédé a été rarement employé, mais il est correct ; celui qui consiste à ne pas acquitter l’impôt régulièrement consenti ne l’est pas. Alors, demandera-t-on, il n’y a aucun moyen d’arrêter des ministres dans la voie de l’illégalité ? Il y en a un, nous l’avons déjà dit, c’est d’aller devant les tribunaux. Ils sont seuls juges de la légalité d’une mesure prise par le gouvernement, et ils ont donné des preuves de leur indépendance. C’est devant eux qu’il faut se pourvoir : ceux qui l’ont fait jusqu’ici ne s’en sont généralement pas mal trouvés. Il est vrai que le gouvernement peut élever le conflit, et qu’il ne manque pas de le faire. Le tribunal des conflits peut à son tour dessaisir la juridiction ordinaire et renvoyer l’affaire à la juridiction administrative. Mais la juridiction administrative elle-même a son indépendance, et elle l’a montré assez souvent pour qu’on ne l’accuse pas a priori d’en manquer. Supposons que tous ces moyens échouent, ce qui peut assurément arriver : comment savoir d’avance quelle interprétation les tribunaux donneront à une loi mal faite ? La conscience des juges sera quelquefois perplexe. Eh bien ! il reste le recours à l’opinion elle-même. À ce point de vue, nous ne saurions trop approuver l’initiative des bons citoyens qui ont fondé la Ligue de la liberté d’enseignement. Ils sont dans le bon chemin : qu’on les y suive.

Toutes nos libertés sont sans doute menacées par le radicalisme