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Le parti radical a une tendance d’autant plus grande à abuser de l’autorité dont il dispose, qu’il a moins l’habitude de s’en servir. Dans l’espèce d’étonnement qu’il éprouve d’être devenu le maître, il se croit tout permis. Son audace ne connaît pas de bornes. Il en rencontrera dans la nature même des choses. Une plus grande expérience des affaires lui apprendra que tout en ce monde est action et réaction, que tous les excès sont suivis de retours inévitables, que toutes les fautes s’expient Ils se livrent actuellement à une sorte d’orgie de pouvoir : les orgies ont leurs lendemains.

Les actes les plus brutaux ne sont pas exempts d’un côté comique. Quelques personnes se sont émues, mais beaucoup d’autres n’ont pu s’empêcher de sourire en trouvant un soir, dans les journaux, la note officieuse qui leur avait été communiquée à la suite du conseil des ministres tenu le matin. On y lisait que le mouvement de résistance présenté d’abord comme catholique était « nettement et violemment royaliste, » et qu’il avait abouti à des délits très graves. Le garde des sceaux avait envoyé au procureur général des instructions sévères pour en ordonner la répression. Les gouvernemens dans l’embarras éprouvent toujours le besoin d’avoir un complot à poursuivre, et il est sans exemple qu’en cherchant bien ils n’en trouvent pas autour d’eux ‘es élémens. Dans un département où il reste encore d’assez nombreux royalistes, quelques-uns de ceux-ci ont sans doute pris une part plus ou moins active aux événemens qui se déroulaient à leur portée. Peut-être même ont-ils commis certaines imprudences. Mais prétendre que le mouvement breton était « nettement et violemment royaliste, » c’est ce que M. Combes lui seul pouvait faire. Son malheur est qu’on ne l’a pas cru. S’il avait dit vrai, et si M. le procureur de la République, obéissant aux instructions de son ministre, avait trouvé quelques traces de ces graves débits que dénonçait la note officieuse, nous en aurions vu de belles ! M. Combes est évidemment démangé de la préoccupation d’imiter en tout M. Waldeck-Rousseau, et il copie en effet son modèle, mais en le chargeant. Les trois écoles de Bretagne qu’il a prises si vaillamment ont été son fort Chabrol : il lui faut maintenant son complot, et peut-être un jour réunira-t-il la Haute-Cour. Ce sera sa consécration de sauveur de la République. Nous ne croyons pas, toutefois, que les affaires de Bretagne lui donnent cette satisfaction. Les poursuites qui ont été intentées jusqu’ici l’ont été pour des bris de scellés, qui ne sont pas un fait spécial à la Bretagne, et pour des délits encore moindres. La meilleure volonté du monde ne saurait tirer grand parti de si peu de chose, et on ne convaincre personne qu’il y