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d’angoisses, il considérait Hyde, en dehors de ces liens de communauté qui faisaient son malheur, comme quelque chose d’infernal. Et cet autre, ce démon emprisonné dans sa chair, profitait de son oubli ou sommeil pour s’emparer de lui. La haine de Hyde contre Jekyll n’était pas moins vive[1]. »

Les deux personnages, en qui se dédouble le docteur Jekyll, sont fort bien mis en relief, et la transition mystérieuse par laquelle l’un fait place à l’autre est si bien ménagée que l’intérêt du lecteur est tenu en haleine jusqu’à la fin.

Le sujet du Docteur Jekyll et l’épisode de Marhheim qui est dans le même ordre d’idées, ne sont pas, comme on pourrait le croire, empruntés à des expériences médico-psychologiques, mais tirés d’observations faites par l’auteur sur lui-même. Voici, en effet, ce que Stevenson nous raconte dans son Chapitre sur les rêves : « J’ai connu quelqu’un, dit-il, qui dans son enfance était un ardent rêveur. Dès qu’il avait la fièvre, tout dans sa chambre et sa vie d’écolier se métamorphosait. Le paysage, certains épisodes historiques lui revenaient en mémoire ; il voyait en songe, il entendait parler les personnages de la cour du roi George, et ces rêves s’enchaînaient d’une nuit à l’autre, formant comme les chapitres d’un sermon. »

C’est ainsi que, tout jeune étudiant, Stevenson menait pour ainsi dire une double vie : l’une le jour, l’autre la nuit. Et cette dernière ne lui semblait pas moins réelle que l’autre. Ces nouvelles peuvent être considérées plutôt comme des études de phychologie faites sur lui-même et comme des travaux préparatoires à son œuvre de fiction.

Passons maintenant à ses romans proprement dits. Ceux-ci se divisent en trois groupes : les récits d’aventures, les romans mêlés d’aventure et de passion; ceux enfin où l’amour joue le principal rôle. Le plus connu des écrits du premier groupe, c’est l’Île au trésor, qui a été une lecture favorite de la jeunesse il y a une dizaine d’années. L’élégante traduction française qu’en a donnée M. Philippe Daryl[2] nous dispensera de l’analyser. Nous dirons seulement que le héros, Jim Ilawkins, un jeune mousse, y déploie un esprit d’entreprise fertile en ressources, du courage et de la persévérance, qui en font le pendant de

  1. Voir Nouvelles Mille et une Nuits. Introduction de Mme  Th. Bentzon, p. 60-61.
  2. Hetzel, 1890.