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delaire, Victor Hugo lui léguèrent les premiers leurs couleurs réalistes, le dernier sa tendance à dramatiser les récits. Zola lui était antipathique.

« Quoique cet être éminemment bourgeois et français ait un certain pouvoir, a-t-il écrit, je ne puis le sentir. Je ne donnerais pas un chapitre de Dumas père pour toute la cuisine de Zola. C’est un roman marqué de variole : il y a toujours quelque chose de morbide, d’un cœur sombre et ennemi de la joie[1]. » Le jugement est peut-être trop sévère, mais il a bien mis le doigt sur le défaut capital de l’auteur de la Terre et de Germinal. Comme il l’a dit ici et en maint autre passage, Alexandre Dumas père était le romancier qu’il aimait, sinon qu’il admirait le plus. « Le vicomte de Bragelonne, dit-il, est de mon cercle intime. Si j’avais à choisir des vertus pour moi-même ou pour mes amis, je choisirais celles de d’Artagnan. Il n’y a pas dans tout Shakspeare de personnage qui me soit aussi sympathique. Dans aucun roman je n’ai trouvé la fin d’une vie racontée avec un tact aussi délicat. »

Et depuis la mort de Dumas, c’était Alphonse Daudet qui lui paraissait, sans conteste, le premier romancier français. Les Rois en exil étaient, à son avis, à peu de chose près un chef-d’œuvre. Stevenson reconnaît aussi dans ses lettres qu’il doit beaucoup à MM. Paul Bourget et Pierre Loti.

Venons-en maintenant à ses romans. Ils se divisent en deux groupes très différens : ceux qui renferment la peinture des mœurs de certaines catégories sociales ou l’analyse de curieux états psychologiques et les romans passionnels proprement dits.

Ces deux classes correspondent assez exactement aux deux termes employés par les Anglais pour désigner les ouvrages d’imagination : la novel et la romance. D’après l’un des critiques les plus compétens en la matière, M. Wilbur Cross[2], la « nouvelle » imitée de Boccace est une peinture de la vie réelle, tandis que la romance, originaire de nos romans français, est un récit idéalisé d’aventure et d’amour.

Nous rangerons dans la première catégorie : les Nouvelles Mille et une Nuits, le Prince Othon, le Dynamiteur et le Cas étrange du docteur Jekyll et M. Hyde. Le sujet du Prince Othon est

  1. Lettre à Alexandre Ireland.
  2. The development of Ihe english Novel ; New-York, 1000; dédié à M. F. Brunetière. Voyez l’article de T. de Wyzewa, dans la Revue du 15 avril 1900.