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comme des enfans en prison, bâillent en attendant la mort. Il est certain que le missionnaire doit faire des changemens, mais il devrait y procéder plus doucement et considérer tout changement comme une affaire d’État. Je prends le missionnaire de capacité moyenne. Je lui rends justice en supposant qu’il hésiterait à faire bombarder un village pour convertir un archipel. Or l’expérience nous a démontré, — au moins en Polynésie, — qu’un changement dans les habitudes des indigènes est souvent plus meurtrier qu’un bombardement[1]. »

C’est ici le lieu de dire quelques mots du rôle politique de R.-L, Stevenson à Samoa. On sait que ces îles, à cause de leur sol fertile et de la vigueur exceptionnelle de la race, avaient de bonne heure excité les convoitises de l’Angleterre, de l’Allemagne et des Etats-Unis. Dès sa première année dans ces parages, Stevenson s’intéressa au sort des indigènes, et, dans une lettre écrite à Hawaï et adressée au Times (10 février 4889), il raconta les origines du conflit. Deux ans après, le Congrès de Berlin s’occupa de l’affaire, et organisa le condominium des trois grandes puissances, mais sans préciser avec netteté les attributions des représentans de chacune[2], De là de fréquens conflits entre ces fonctionnaires, qui se réglaient en général aux frais des indigènes. Stevenson, qui n’avait d’autres intérêts que ceux de la justice et de la concorde, prit fait et cause pour les Samoans toutes les fois que leurs intérêts paraissaient lésés et devint suspect aux deux chefs suprêmes. Ceux-ci lui en voulurent surtout de ses lettres au Times (du 10 février 1889 au 23 avril 1894), où il dénonça sans pitié les pratiques injustes au moyen desquelles on exploitait les indigènes. Il fut même, un moment, menacé de la déportation. Malgré tous ses efforts pour prévenir le fléau, il eut la douleur de voir éclater la guerre civile (août 1893), entre les tribus du parti de l’Allemagne et celles que soutenait l’Angleterre. Mataafa, l’adversaire du parti allemand, le seul chef indigène qui fût capable de gouverner, fut vaincu et banni. D’autres

  1. In Ihe South-Seas, p. 41-42. Comp. Vie de Stevenson, par G. Balfour, t. II, p. 126 et suiv.
  2. D’après ce condominium, qui dura de 1889-1894, le gouvernement des îles Samoa consistait en un juge suprême, un président du Conseil municipal, les consuls des trois puissances protectrices, trois commissaires locaux. On désigna pour la première fonction un Suédois, pour la seconde un Allemand ; les consuls appartenaient aux trois nationalités, et les commissaires locaux étaient des représentans du pays.