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à l’action, gracieux au repos, et les femmes, bien que plus replètes et moins intelligentes, sont avenantes. À première vue, il n’est pas de race plus viable, et pourtant la mort les fauche à deux mains. On reviendra plus tard sur le problème des causes de la dépopulation des îles Polynésiennes.

Quant aux mœurs des indigènes, Stevenson a observé deux traits de leur caractère : l’inclination au suicide et la haine des Français. Il attribue la. première au pressentiment de la fin de leur race, qui engendre chez eux, tantôt une grande irritabilité, tantôt un découragement mélancolique (erimatua), qui les porte au dégoût de la vie. Les Marquisans, du moins, tiennent à mourir et, surtout, à être ensevelis avec un certain décorum. Ils met- tent leur amour-propre à avoir un beau cercueil. Un jour, comme un indigène allait mourir de cette désespérance, un missionnaire eut l’idée de lui offrir un cercueil, et sa satisfaction fut si grande, qu’il fut guéri et vécut longtemps encore.

Ils ont, d’ailleurs, les plus grands égards pour la maison, la tombe et même le corps des défunts. Les demeures des familles éteintes sont réputées tabou, c’est-à-dire inviolables. Personne ne doit en approcher, elles sont comme les avant-postes du royaume des morts. On dépose régulièrement des offrandes sur les sépultures. Dans la baie du Traître, le beau-fils de Stevenson vit un homme acheter un miroir, pour le déposer sur la tombe de son fils. C’est en faisant passer, sans vergogne, des routes à travers de tels cimetières, que les ingénieurs ont provoqué de telles haines contre les Français[1].

Des Îles Marquises, Stevenson se rendit à l’archipel de Tahiti (fin septembre) et séjourna quelque temps à Tautira. Il était tombé gravement malade, et fut soigné dans la maison du chef, par sa femme assistée de la princesse Moë, l’ancienne reine de Raïatea. Il y observa que la population, après avoir traversé une période de décroissance inquiétante, était maintenant sta- tionnaire et même qu’elle paraissait avoir dépassé le moment critique.

Il en repartit à Noël 1888, et arriva dans la première huitaine de l’an 1889 à Honolulu. C’est pendant ce séjour aux Iles Sandwich (ou Hawaï), qu’il entendit parler des lépreux relégués dans l’île Molokaï. Le P. Damien venait de mourir et déjà son

  1. In the South-Seas, p. 29-31.