Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 11.djvu/175

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de menaçant, qui fait plus de peine que de plaisir à entendre ; mais ces cloches-là, quand elles lançaient dans l’air leurs sons, tantôt aigus, tantôt graves, tantôt avec une cadence plaintive qui s’emparait de l’oreille comme une chanson populaire, étaient toujours douces et harmonieuses et s’accordaient bien avec le ton tranquille et serein de ce paysage. J’aurais voulu demander la bénédiction du brave et calme vieillard qui tirait si gentiment la corde, en mesure avec le rhytme de ses propres pensées[1]. »

Deux ans après, Stevenson faisait seul, avec un âne qu’il avait équipé pour porter sa couchette et son bagage, un voyage à pied dans les montagnes de la Haute-Loire et de la Lozère. Parti, le 22 septembre 1878, du Monastier, il passait la Loire, atteignait l’Allier à Langogne, et allait résider quelques jours au couvent des Trappistes de Notre-Dame-des-Neiges. Puis il traversait la chaîne des monts de la Lozère et arrivait au Pont-de-Montvert. Il était alors au cœur des Cévennes, où chaque village, chaque col, chaque rocher lui rappelaient un épisode de la guerre des Camisards. Ensuite, il descendait la vallée du Haut-Tarn jusqu’à Florac, et là, suivant la vallée de la Mimente, il passait à Saint-Germain de Calberte et finissait par arriver à Alais (3 octobre). Chemin faisant, il décrit les mœurs des habitans, compare le caractère des catholiques et des protestans; il s’arrête ici pour dépeindre un site pittoresque ou là pour narrer un épisode de cette lutte héroïque, soutenue par une poignée de montagnards fidèles à leur croyance, contre un roi, qui croyait pouvoir façonner les consciences comme il avait fait tailler les arbres de son parc de Versailles. Cette guerre lui suggère tantôt des comparaisons avec cette autre guerre épique, la lutte des Covenantaires écossais contre les Stuarts devenus rois d’Angleterre, tantôt des remarques humoristiques, qui fontpenser à R. Toppfer, le spirituel auteur des Nouvelles genevoises.

Le passage suivant sur les Trappistes de Notre-Dame-des-Neiges donnera une idée de son talent : « Je ne crois pas avoir jamais connu société de gens plus heureux, ni mieux portans. En fait, sur ce plateau désolé, et avec l’activité incessante des moines, la vie est une possession incertaine et la Mort n’est pas

  1. An inland voyage, p. 200-201, traduit par L. Lemaître, sous ce titre : À la pagaie sur l’Escaut, le canal de Villebrock, la Sambre et l’Oise. Paris, 1900, gr. in-fol. illustré, chez Lechevallier.