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toutes les religions et voyait dans leurs dogmes des conjectures pour atteindre l’inconnaissable.

Atteint, à vingt-trois ans, d’une affection de poitrine, les médecins lui ordonnèrent un séjour à Menton, et dès lors, sauf quelques rares exceptions toujours payées par des rechutes, il dut renoncer à habiter l’Écosse, au climat brumeux et variable, pour passer ses hivers dans le Midi et ses printemps en France ou sur la côte Sud de l’Angleterre, Plus tard même, à la mort de son père, il dit adieu pour toujours à l’Europe, et, après avoir quelque temps habité la Californie et exploré les îles de l’Océanie, il fixa définitivement ses pénates dans une des îles Samoa, ou il mourut en 1894. Il y a donc deux aspects de sa personne, qui se reflètent dans ses œuvres. Stevenson est d’abord un voyageur ou un « émigrant amateur, » comme il s’est qualifié lui-même, changeant de résidence tous les six mois et parfois plus souvent, toujours en quête d’impressions, d’aventures nouvelles, doué d’un coup d’oeil d’artiste et décrivant admirablement les paysages, les hommes et les choses, surtout les paysages de mer. Sur ce dernier point, il me paraît comparable à Pierre Loti. Il a été, en outre, un écrivain qui a traité les sujets les plus divers : biographie et histoire politique, morale et poésie, fables et contes fantastiques, récits d’aventure, romans et même théâtre, il a touché à tous les genres. Non pas, certes, qu’il se soit montré partout égal à lui-même ; mais, toujours, il a fait preuve d’une précision, d’un réalisme dans les détails, qui n’a d’égal que l’élégance de la forme et l’éclat du coloris. Nature vibrante, que je ne saurais mieux comparer qu’à la harpe des anciens bardes d’Écosse, sur laquelle ils improvisaient des chansons, des ballades ou des élégies. Il ne faut pas songer, dans les limites d’un article, à épuiser une si riche nature. Je voudrais du moins mettre en relief les deux aspects caractéristiques de Stevenson : le touriste observateur et le romancier.

I

C’est en France que Stevenson a débuté comme explorateur. Fortifié par un hivernage à Menton, il entreprit, en septembre 1876, avec son ami sir W. C. Simpson, de se rendre d’Anvers à Pontoise, en remontant les canaux et les rivières de la Sambre