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étrangères l’une à l’autre, l’hospitalité des bourgeois des petites villes du Nord, et cette belle humeur avec laquelle tant de gens, pauvres ou gênés, cachent leurs privations, et qui, à ses yeux, était un signe de courage moral et d’indépendance.

Les Écossais ont toujours eu ce trait du caractère chevaleresque, la sympathie pour les vaincus, pour les opprimés, et Stevenson était Écossais jusqu’aux moelles ; il en avait le tempérament voyageur, militant, invincible. Il a dit de lui-même quelque part à propos d’une personne : « Il vous rappellera cet Écossais qui, selon toute apparence, s’en allait mourir et qui, quand même, faisait des rêves d’avenir. Eh bien ! nous autres Écossais, nous ne consentons jamais à nous tenir pour battus ; nous ressemblons au guerrier Braddock, emporté mourant du champ de bataille et qui se promettait de prendre sa revanche la prochaine fois[1]. »

Cette humeur batailleuse était tempérée, cette endurance était soutenue par une foi religieuse très profonde, mais très indépendante. Il avait été élevé par ses parens dans la doctrine calviniste la plus rigide. Ses ancêtres paternels, comme les Smith, ses ancêtres maternels, gardaient la tradition puritaine, ayant le sentiment d’une volonté supérieure qui gouverne les affaires humaines. Mais il y avait une différence marquée entre le caractère des hommes et celui des femmes. La piété des premiers n’excluait pas une certaine ambition mondaine, celle de faire fortune, afin de pousser leurs fils à un échelon plus haut de l’échelle sociale ; tandis qu’aux yeux des mères, cela était pure idolâtrie, leur rêve était de faire de leurs fils des ministres de la parole de Dieu. Robert-Louis échappa, par l’indépendance de sa pensée, à ces influences héréditaires. D’un côté, il n’eut jamais d’autre ambition que de gagner par sa plume assez d’argent pour entretenir sa famille ; et, de l’autre, sa pensée, éveillée par ses lectures, brisa les cadres étroits du calvinisme. Il s’était fait des croyances personnelles et, par là même, d’une réelle efficacité morale, très voisines de celles d’un Channing ou d’un Parker. Et ces convictions religieuses s’étaient encore affinées par une précoce expérience de la douleur physique[2]. Il respectait

  1. Voyez la dédicace du Prince Othon à Mlle Van der Grift.
  2. Voyez ses belles prières pour le culte domestique, à la fin du deuxième volume de sa biographie. Graham Balfour, The Life of R. L. Stevenson, Londres, 2 vol. in-fol., 1901.