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merveilleuse par laquelle les peintres des Pays-Bas, les traducteurs les plus consciencieux de l’âme pieuse du moyen âge, devinrent ensuite les interprètes les plus brillans et les plus sincères de l’imagination et de la pensée moderne, de l’imagination sensuelle exaltée par la culture classique, de la pensée observatrice attendrie par l’amour de la nature, de la vie et de l’humanité.

Pour les peintres du Nord, entre 1490 et 1530, le grand,, souci fut d’adoucir leur technique et d’alléger leur style en demandant conseil aux peintres d’Italie, plus libres et plus aimables, surtout à Léonard, aux Milanais et aux Vénitiens. C’était aller à la bonne source. Un peu plus tard seulement, l’engouement pour Michel-Ange et les anatomistes florentins les précipitera dans ces désordres de contorsions grotesques et de nudités glaciales où l’on verra des artistes savans et laborieux, tels que Heemskerk, Cornelis de Harlem, Frans Floris et bien d’autres, compromettre, comme à plaisir, leurs qualités naturelles. L’italianisme, dans la génération précédente, moins dominateur et moins dogmatique, produisit, au contraire, des fruits composites, d’une grâce un peu étrange, mais parfois très savoureuse.

Sans parler du grand Quentin Metsys, qui, n’aspirant l’air d’Italie qu’à distance, en prit seulement un goût particulier d’élégance et de libres allures, sans rien sacrifier de son génie flamand, d’autres artistes, plus indécis et plus troublés, tels que Jean Gossaert (Mabuse), Van Mostaert, le maître des demi-figures, Henri Blés, Patenier, Bernard Van Orley, ne sont pas des personnalités médiocres. Leur œuvre, inégale et diverse, à cause même de la multiplicité de leurs recherches, est encore mal établie ; un grand nombre des tableaux qui portent leurs noms à Bruges ouvrent le champ à la discussion, mais la plupart de ces morceaux sont intéressans, quelques-uns charmans, d’autres tout à fait beaux. Rien ne montre mieux, en somme, combien ce mouvement d’assimilation italienne fut général et entraînant, et combien aussi, à cette première heure de frais enthousiasme, entre les mains de praticiens encore sincères, conservant, au-delà des Alpes, la conscience scrupuleuse de leurs ancêtres, ce mouvement put sembler aux contemporains désirable et sans danger. L’étude de tous ces petits maîtres flamands ou hollandais, tous excellens portraitistes et paysagistes excellens, est une joie, pleine de surprises et d’inquiétudes, pour les spécialistes. Nous ne saurions l’aborder ici. Tenons-nous-en aux Brugeois.