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morales dans la tranquillité voulue des altitudes et des gestes. Lanchals avait, paraît-il, inventé des instrumens perfectionnés de torture dont ses compatriotes lui firent faire l’expérience, comme Louis XI fît d’abord goûter de la cage de fer au cardinal La Balue, son inventeur. La scène dut ressembler à celle-ci, où se retrouvent peut-être, autour de la victime, les mêmes magistrats. La grande habileté de l’artiste a été de ne rien atténuer des atrocités réelles qu’exigeait le motif, sans épouvanter toutefois les yeux par d’horribles détails d’abattoir.

A voir ces tristes spectacles, qui croirait Gérard David, après Memlinc, le plus tendre et le plus doux des artistes ? Entre les deux scènes du Jugement de Cambyse, ces premières peintures certaines de Gérard David, on a placé, comme l’anthithèse la plus surprenante, l’une de ses dernières œuvres, la délicieuse réunion de jeunes saintes qui est la fleur du musée de Rouen. Les premières furent terminées en 1498 ; la dernière est de 1509. Que s’est-il passé, durant ce court intervalle, dans l’âme du peintre ? Autant le Jugement se rattache encore, et de tous les côtés, à l’art du XVe siècle, à l’art septentrional, autant les Saintes autour de la Vierge s’élancent, avec joie, vers l’art de la Renaissance, vers l’art italianisé. N’était la similitude indiscutable de quelques types chers à Gérard, n’était la persistance de certaines habitudes et procédés techniques, n’était, enfin, la certitude des documens prouvant l’authenticité, au premier abord, on reste stupéfait que des œuvres d’apparence si dissemblable aient pu sortir de la même main. Il n’y a pas, je crois, ni en Flandre, ni en Italie, d’exemple plus éclatant de la puissance irrésistible avec laquelle s’imposaient à tous les peintres, dans les premières années du XVIe siècle, les séductions de la nouvelle manière italienne, de l’arte moderna, tel que Léonard de Vinci, Fra Bartolommeo, Giorgione, venaient de le constituer. Gérard David, lui aussi, a-t-il complété son instruction en Italie ? Dans les deux scènes du Jugement, les médaillons d’allégories mythologiques encastrés dans la muraille, les guirlandes de fruits et de fleurs tenus par des Amorini, révèlent déjà chez lui le goût des choses antiques et la connaissance de peintures ou gravures padouanes. Une conversation sacrée dans un parc, où l’on retrouve les demoiselles de Memlinc présidées par une vierge de Léonard, et qui semble bien de sa main, mais d’une main juvénile et incertaine, ferait supposer, d’autre part, un séjour dans le Milanais.