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été longtemps attribuée à Martin Schöngauer. Tant la distinction reste souvent difficile à faire entre des ouvrages du même temps, exécutés sous la même direction d’idées et de technique, et qui se copient, en tout ou partie, sans cesse, les uns et les autres, au gré des patrons et des acheteurs, dans ces grandes fabriques d’imagerie religieuse qu’étaient les ateliers des Flandres ! Bouts était aussi un portraitiste supérieur. Qu’on regarde ici même une tête d’homme rasé, coiffé d’un bonnet rouge, calme, presque souriant, avec de bons gros yeux noirs, bien ouverts ! Qu’on regarde surtout le donateur et la donatrice du Martyre de saint Hippolyte, tous deux vêtus de noir, agenouillés l’un devant l’autre, sur la pente d’un talus, au-dessus d’une vallée où des escarpemens sablonneux jaunissent sous des plateaux de vertes cultures, autour de l’habitation familiale, tous deux si graves et si pieusement recueillis ! L’autre grand Hollandais, Geertgen van Sint Jant (Gérard de Harlem), dont le Louvre a récemment acquis une œuvre capitale, la Résurrection de Lazare, n’est représenté que par un petit panneau où Saint Jean-Baptiste, en robe violette, pieds nus, assis sur une pente gazonnée, médite au milieu d’un paysage printanier. Le rêveur solitaire garde, en ses yeux fiers, cette flamme de ferveur, douce et tendre, que Gérard donne à ses saints dans les tableaux de Vienne et dans celui du Louvre. Son recueillement, comme celui de la campagne environnante, est aussi reposant pour l’esprit que pour les yeux. A côté de ce fragment, sur un autre panneau grand comme la main, mais de provenance plus flamande, l’exquise poésie des légendaires chrétiens exhale encore ses parfums lointains ; un petit moine blanc, saint Bernard, traverse, pour gagner son couvent, une prairie en fleurs, et les anges, pour lui faire la route plus douce encore, déroulent sous ses pieds un long tapis de pourpre et d’or.


III

Aucun des peintres ci-dessus, sauf Petrus Cristus, ne résidait à Bruges. C’est à distance, par leurs œuvres, qu’ils exercèrent leur influence sur l’art de la Venise flamande, dont la prospérité commençait d’ailleurs à déchoir par suite de l’ensablement du Zwin et de ses discordes civiles, de plus en plus fréquentes et âpres après la mort de Charles le Téméraire. A Bruges comme à Venise, l’apogée de l’art local correspond ainsi à la période