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répondait pas suffisamment aux besoins de l’imagination du siècle, accoutumée à des compositions religieuses ou historiques d’un intérêt plus général et plus vif.

Son imitateur le plus fidèle, Petrus Cristus, de Baerle près de Gand, qui s’établit à Bruges après sa mort, n’est que sa doublure, incertaine et inégale. Avec des qualités très réelles d’exécutant, surtout dans les parties mortes, vêtemens et accessoires, et de coloriste savoureux, tel qu’il se montre dans sa Légende de sainte Godeberte (Godeberte et son fiancé achetant des bijoux à saint Eloi, orfèvre), il reste le plus souvent fort inférieur à son modèle par l’insignifiance de ses visages et les mollesses de ses formes. Est-ce bien justement qu’on lui attribue la Déposition du musée de Bruxelles ? Ici, les personnages groupés autour du cadavre du Christ sont d’une facture plus ferme et d’une plus forte expression et s’enveloppent d’une plus chaude atmosphère sur un fond de collines boisées profilant, avec une vérité grandiose, des silhouettes d’arbres et de forteresses sur un ciel crépusculaire. Certaines similitudes semblent autoriser l’attribution. Dans ce cas, c’est le chef-d’œuvre de Cristus, et il faut alors reconnaître que l’habile praticien a fait, comme metteur en scène et dessinateur expressif, d’étonnans progrès d’après les exemples de Van der Weyden, dont le génie dramatique a déterminé toutes les attitudes et tous les gestes des personnages. Il est plus difficile encore de retrouver la main et l’esprit, toujours un peu lents, de P. Cristus, dans un petit Calvaire (N° 19) très peuplé et très mouvementé, d’un aspect extraordinairement vivant, avec des détails ingénieux et originaux où les réminiscences de Van Eyck se mêlent à beaucoup d’autres. C’est une pièce, comme tant d’autres, qu’il faut, jusqu’à nouvel ordre, passer au compte de ces glorieux Inconnus, si nombreux dans l’école flamande, dont l’exposition de Bruges, en supprimant, par la comparaison, beaucoup d’attributions légèrement données à distance, va singulièrement allonger la liste.

Pendant que Petrus Cristus, presque seul, continuait de pratiquer, à Bruges, la manière calme et simple de Van Eyck, un mouvement très différent s’opérait dans le reste des Flandres et aux Pays-Bas. Roger de la Pasture (Van der Weyden) de Tournai (1400-1464), le contemporain de Jean, à dix ans près, élève d’un maître local, Robert Campin, s’établit, dès 1436, à Bruxelles, comme peintre de la ville et de la cour bourguignonne, et donne,