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et bien proportionné, dans le redressement, si juste et si naïf, de ses petons rougissans, il n’annonce pas non plus, il ne justifie point surtout ces parades de réalisme, maigreurs maladives des membres chétifs, contorsions anguleuses des bras et des jambes, saillies des abdomens gonflés, énormité des têtes pesantes, qui, en Flandre aussi bien qu’à Florence, mais plus encore en Flandre, donneront bientôt à certains petits Jésus un aspect déplaisant d’avortons desséchés ou de poupards hydropiques, aussi bien chez Van der Weyden que chez Botticelli, chez le maître de Flémalle que chez Lorenzo di Credi.

Le grand manteau rouge de la Vierge s’étale à ses pieds sur un tapis oriental, avec cette abondance de plis, mise à la mode par les sculpteurs de Dijon, mais que Jean resserre et assouplit avec plus de goût. L’exactitude minutieuse, quasi palpable, avec laquelle toutes les matières, carnations et chevelures, pierres et tissus, sont rendus, en trompe-l’œil, dans leur aspect particulier, sous l’enveloppe de lumière, est déjà surprenante dans ce groupe principal ; elle le devient plus encore dans les trois personnages. A droite, le donateur agenouillé, le chanoine Van der Paele, vieillard chauve et ridé, aux bajoues flasques et jaunes, tremblant sous le regard de la Vierge, prêt à laisser choir son missel, ses besicles, sa fourrure. Derrière lui, son patron, saint Georges, harnaché, de pied en cap, d’une armure précieusement ciselée, damasquinée, dorée, qui le présente en soulevant respectueusement son chapeau de fer godronné. A gauche, debout, l’évêque saint Donatien, avec une mitre d’or chargée de pierreries et une dalmatique brodée, à grands ramages d’or, en brocart vert, porte sa crosse et la roue symbolique garnie de cierges allumés. Rien de plus extraordinairement luxueux que tous ces métaux et tous ces tissus ouvrés par les fournisseurs de la cour dépensière des grands ducs. Aucun spécialiste en natures-mortes n’a jamais atteint depuis cette perfection de rendu. Toute cette exactitude, pourtant, ne serait qu’une habileté secondaire, si elle n’était animée, enveloppée, échauffée par l’intelligence la plus aiguë et la plus intense de la physionomie humaine, le sens le plus juste et le plus franc de l’action lumineuse qu’ait jamais possédés un peintre. La tête typique du chanoine Van der Paele est aussi justement célèbre que celles de Jodocus Wydt, le dévot inquiet, plus tremblant encore, du tableau de Gand, d’Isabella Vydt, de l’Homme à l’œillet (musée de Berlin). L’art du portrait ne s’est