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La sincérité de l’artiste est si profonde et si respectueuse qu’elle nous touche et nous émeut comme une prière.

Que nous sommes loin de l’Italie par la naïveté de la conception ! Que nous en sommes loin encore par la rigueur surprenante de l’exécution réaliste ! Que nous en sommes près, cependant, par l’ampleur, la force et la liberté ! Béni sera l’heureux archiviste qui, par pièces authentiques, prouvera la justesse de nos impressions devant les œuvres, constatera ces échanges d’excitations internationales qui, dans le premier quart du XVe siècle, à la suite du triomphe de la sculpture bourguignonne, développèrent simultanément, en Italie et en Flandre, dans les villes industrielles et cosmopolites, une évolution rapide et décisive de l’art de la peinture échappant au formalisme traditionnel pour se raviver dans l’admiration passionnée et l’observation méthodique de la nature vivante ! Dans cet échange continu des œuvres et des hommes, quelle est la part de chaque école ? Est-ce à Vittore Pisano, son contemporain, que Jan van Eyck doit des conseils ? Est-ce Pisano qui profita de ses exemples ? Les premiers portraits fortement individualisés, qui donnèrent, dans les deux pays, l’impulsion irrésistible, furent-ils apportés de Bruges à Florence ou de Florence à Bruges, par les négocians et banquiers amateurs, qui avaient leurs comptoirs dans les deux villes ? Les mouvemens parallèles concordent si singulièrement qu’il en faut bien chercher l’origine dans une poussée commune.

Hubert Van Eyck, l’aîné, devait avoir une quarantaine d’années lorsqu’ils peignit ce curieux tableau, les Trois Maries au Sépulcre, auquel M. J. Weale donne la date de 1410. Le tableau semble avoir été fait à Padoue. Le fond de collines, surmontées de châteaux-forts, est imité, dit-on, d’une fresque de Giotto. Ce qui est plus sûrement italien, ce sont les attitudes ramassées en raccourcis audacieux, les costumes bigarrés, les armures bizarres des trois soudards endormis près du sépulcre, qu’on retrouve à Florence même dès le XIVe siècle (Chapelle des Espagnols, Sacristie de Santa-Croce) à Pise et ailleurs.

Les trois saintes femmes, s’avançant sur la gauche, avec une dignité douloureuse qui est celle de leurs aînées à Santa-Maria Novella, tiennent bien aussi la régularité de leurs visages et l’ampleur simple de leurs manteaux d’un commerce direct avec les fresques toscanes et les mosaïques chrétiennes. Ce qui est imprévu toutefois, ce qui est bien flamand, ce qui va créer un